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Défis de familles d’aujourd’hui: qui commande ici?

par | 17 décembre 2019 | Interviews, Jon Schmidt, Nahum Frenck

Nahum Frenck estime qu'en prenant le temps d’être plus spontanés les uns avec les autres, les membres des familles pourraient éviter de nombreuses difficultés. Quant à Jon Schmidt, il estime qu’il est crucial d’éviter l'épuisement au sein des systèmes familiaux.
Les thérapeutes Nahum Frenck et Jon Schmidt publient Défis de familles. À travers 16 cas issus de la pratique, ils déclinent leur savoir-faire avec sensibilité et pertinence, mettant en évidence les dynamiques qui viennent déséquilibrer l’harmonie de ce délicat «système» qu’est la famille.

Cas d’enfants rois, hyperactifs ou adoptés, de familles recomposées, de ruptures houleuses ou de codépendances amoureuses: les thérapeutes lausannois Nahum Frenck et Jon Schmidt ont vu beaucoup de familles différentes passer dans leur cabinet du chemin François-de-Lucinge, à Lausanne. Des situations apparemment sans issue, souvent touchantes, animées par des dynamiques internes qui bouleversent l’harmonie de ce qu’ils appellent le «système» de la famille. Ensemble, le pédiatre et le psychologue conjuguent leurs approches et leurs âges pour aider les familles à retrouver un équilibre et renouer les liens.

De ces années à soigner, les deux collègues ont tiré le livre Défis de familles: 16 histoires de thérapie systémique, un condensé de leur expérience écrit «à quatre mains, deux cerveaux et deux cœurs», le même procédé selon lequel ils mènent leurs thérapies systémiques – et cet entretien. Loin d’un mode d’emploi ou de recettes toutes faites, leur but était de déployer des pistes à travers 16 histoires issues de cas pratiques, avec créativité et sans dogmatisme.

Plutôt que de valider cette compréhension de la famille comme une machine à huiler, nous les encourageons à la voir comme un corps organique, qui doit respirer.

Défis de familles: le titre de votre ouvrage sonne un peu comme un manifeste. Les familles sont-elles confrontées à davantage de défis aujourd’hui qu’hier?

Jon Schmidt: À mon avis, les défis des familles ne sont pas plus nombreux, mais différents, car ils évoluent avec leur temps. En revanche, ils s’accompagnent de larges remises en question. Aujourd’hui, les parents sont soucieux de faire tout bien. Par exemple, ils s’interrogent énormément sur la place et l’utilité de la sanction. Dans notre pratique, il est aussi courant que les familles soient envoyées en consultation sur un conseil tiers. En tant que tel, elles visent plus à trouver les causes d’un problème qu’à viser l’harmonie du tout. Plutôt que de valider cette compréhension de la famille comme une machine à huiler, nous les encourageons à la voir comme un corps organique, qui doit respirer.

Nahum Frenck: Mon point de vue est différent – peut-être est-ce dû à notre différence de génération! Je trouve que le souci majeur est que les familles ne se questionnent pas assez, ou pas de la bonne façon. Elles souhaitent aller de l’avant, mais sans accompagner la thérapie d’une vraie réflexion personnelle. Poussés par le système de consommation, les gens arrivent vers nous en nous demandant un mode d’emploi, des recettes toutes faites, en somme, du prêt-à-porter. Or, nous travaillons dans le sur-mesure, car chaque famille est unique. Du reste, comme l’a dit Jon, les familles ne fonctionnent pas comme des machines. L’important est d’être serein dans son rôle, et non de chercher à tout faire bien.

 

On parle beaucoup des enfants tyranniques, qui décident à la place de leurs parents ou de leurs enseignants, et qui sont de plus en plus jeunes. Comment l’expliquez-vous?

Nahum Frenck: C’est quelque chose qui se construit petit à petit s’il n’y a pas de «pilote» à bord. Les enfants qui agissent ainsi souffrent souvent d’un manque de repères, dû à une relation trop démocratique avec les parents. Mais on ne peut pas être ami avec son enfant! À force de le mettre au centre, de trop l’écouter, les parents perdent de vue le fait que ce sont eux qui sont aux commandes. En thérapie systémique, nous invitons les familles à être attentives à leur rythme, à leur tempo. Les parents ont des vies très remplies, ce qui a un impact sur l’attitude des enfants. Toute la famille tombe alors dans un cercle d’hyperactivité, qu’il convient de déjouer. Bien sûr, cette approche ne convient pas toujours, car dans une logique sociétale de retour sur investissement, l’idée de ralentir, de favoriser la «tranquillité de l’âme» ne colle pas à celle de rendement économique.

 

Enfant roi ou hyperactif: ces mots ne cachent-ils pas des problèmes de discipline?

Jon Schmidt: Le terme de l’enfant roi représente l’inversion de la hiérarchie et de l’autorité dans une famille. Pour ce qui est de l’hyperactivité, je crois qu’on peut dire qu’on a tout entendu à son sujet. C’est pour cette raison que nous préférons opérer au-delà du diagnostic. Ainsi, notre approche est de retourner la question aux familles, de leur demander: «et pour vous, qu’est-ce que cela signifie?» À nouveau, le but n’est pas de se concentrer sur une cause qui risque de détourner le problème sur l’enfant et de dédouaner les parents, mais de stimuler une pensée propre – et non empruntée.

Une famille n’est pas une démocratie: c’est un despotisme éclairé.

Avec la révolution pédagogique qui s’est opérée depuis cinquante ans et qui condamne notamment les châtiments corporels, la conséquence est-elle que les parents n’ont plus assez d’autorité?

Nahum Frenck: Les parents n’ont pas moins d’autorité mais font preuve de plus d’autoritarisme. Toutefois, comme un commandant à l’armée, cette posture est récitée et manque de naturel. Si les parents ne se sentent pas assez légitimés dans ce rôle, c’est normal qu’il sonne faux. Pourtant, on peut aimer un enfant, chercher à le comprendre, tout en le remettant dans un cadre. L’un n’exclut pas l’autre, au contraire! Peut-être faudrait-il tout simplement se rappeler qu’en tant que système, une famille n’est pas une démocratie: c’est un despotisme éclairé.

Jon Schmidt: Le problème majeur posé à l’autorité des parents est que leurs décisions sont souvent précédées par un sentiment de culpabilité qui les freine dans leurs actions. «Ai-je bien fait?», «Puis-je punir mon enfant?», «Sous quelle forme?», etc. À vouloir trop comprendre l’enfant, on le met sur un pied d’égalité, qui mène invariablement au marchandage. Or, le marchandage permet souvent à l’enfant d’obtenir ce qu’il veut. À un enfant qui demande toujours «Pourquoi, pourquoi?», les parents peuvent tout simplement répondre: «Parce que je suis ta mère/ ton père». Même si elle est simple et subjective, cette raison filiale se passe de commentaires ou de réponses, car elle est justifiée et se suffit à elle-même.

 

Avec ces jeux de pouvoir qui bouleversent les hiérarchies, le «système» de la famille est-il en crise?

Jon Schmidt: Peut-être. À l’heure actuelle, nous traversons une grande période de remise en question, tant au niveau des relations entre les hommes et les femmes qu’à celui du rôle de l’enfant. Nous lui avons donné une grande tribune d’expression, ce qui est positif par plein d’aspects, mais pourquoi cette parole prend-elle une si grande importance aujourd’hui? Qu’est-ce que cela dit de la place des parents? Ces questions méritent d’être posées, car elles impliquent une dimension délétère de culpabilité, ainsi qu’une démission de la part des parents. Ainsi, ces derniers hésitent à être visibles ou à prendre la parole. Cet état de fait donne l’impression d’un système en surchauffe, animé par une foule de questionnements et de mouvements qui empêchent de trouver une homéostasie, un nouvel équilibre.

Nahum Frenck: À mon sens, la structure familiale ne va pas disparaître. En revanche, elle est mise à mal par un certain nombre de phénomènes, comme la prépondérance des écrans, qui encouragent une logique hyperactive de surconsommation. Cette course à la performance entraîne des répercussions sur les relations humaines et, par conséquent, sur les dynamiques familiales. Parents comme enfants sont très occupés, n’ont plus le temps pour rien et sont rendus captifs de leurs téléphones ou de leurs tablettes. Quoi qu’il en soit, si la famille est régie par des jeux de pouvoir, c’est un jeu que l’on prend trop au sérieux. La réponse pourrait être tout simplement de prendre le temps d’être plus spontané les uns avec les autres.

 

Défis de famille: 16 histoires de thérapie systémique

Première de couverture du livre «Défis de familles»

Le duo de thérapeutes lausannois Nahum Frenck et Jon Schmidt conjuguent leur expertise pour livrer un ouvrage destiné aux familles, sous leurs formes les plus multiples. À travers 16 tableaux, les deux auteurs déploient des thèmes tels que l’hyperactivité, la famille recomposée, l’enfant roi ou la codépendance amoureuse. Avec, au gré des pages, un fil rouge: que les membres de la famille avancent ensemble vers un nouvel équilibre.

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