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Quand les clients (vrais ou faux) évaluent les prestations de travail: le billet de Jean Christophe Schwaab

par | 10 décembre 2019 | Articles, Jean Christophe Schwaab, Papiers d'auteurs

De plus en plus d’entreprises demandent à leur clients une appréciation des services fournis: ces évaluations génèrent un haut stress chez les employés.© Photo CC-BY Alexandra Lehmann @flickr.com
Auteur du Droit du travail en Suisse, Jean Christophe Schwaab décrypte la pratique d’évaluation des employés par les employeurs. Une analyse instructive en cette période commerciale des fêtes de fin d’année.

L’essor des outils numérique favorise une nouvelle forme d’évaluation des employés: l’évaluation par les clients. En effet, de plus en plus d’entreprises demandent à leur clients une appréciation des services fournis, y compris comment ils ont été traités par leurs employés. Cela va de la borne à smiley placée dans un endroit stratégique au questionnaire détaillé à remplir en ligne, en passant par le message qui demande d’attribuer une à cinq étoiles. Et pour être bien sûr que le client témoignera de son «expérience», on l’incite à répondre, souvent au moyen d’un nudge (petit coup de pouce), parfois par un petit cadeau (par exemple un café gratuit).

Souvent, ces évaluations peuvent être attribuées à un employé en particulier, notamment parce qu’il est cité nommément, ou parce qu’il était le seul à être présent au moment où le client a été servi. Parfois, ces évaluations ont un gros impact sur la relation de travail: bonus en cas de notes très positives, sanctions pouvant aller jusqu’au licenciement si elles ne le sont pas assez. Autant de raisons pour lesquelles ces nouvelles méthodes posent des problèmes de droit du travail.

L’employeur a le droit d’évaluer les prestations de son personnel, mais il ne peut pas le faire n’importe comment.

Des «vrais» clients…

L’employeur a certes le droit d’évaluer les prestations de son personnel, mais il ne peut pas le faire n’importe comment. Les employés doivent notamment savoir les critères sur lesquels ils seront notés et ce qu’il convient de faire pour obtenir une appréciation positive. Quant à celui qui évalue, il doit savoir ce qu’il fait et connaître le contexte. Ce n’est en général pas le cas du client lambda, qui ne connaît souvent rien au métier de celui qui le sert. En outre, il n’a pas la possibilité de savoir si l’employé – quelle qu’en soit la raison – a un jour «sans», qui le rend moins performant ou aimable que d’habitude.

Si l’employeur tient compte de l’évaluation des clients pour sanctionner un employé, cette mesure sera illégale.

Enfin, bon nombre de clients mécontents passent leur colère sur le premier représentant de l’entreprise venu – donc l’employé avec qui ils ont été en contact – même si celui-ci n’y est pour rien ou si la colère du client est due à un élément extérieur (embouteillages, panne de réseau… ou sa propre mauvaise humeur), ce que l’employeur n’a souvent pas les moyens de savoir. S’il tient compte de l’évaluation des clients pour sanctionner un employé, cette mesure sera illégale. Par ailleurs, un licenciement fondé sur une telle évaluation sera considéré comme abusif.

… aux «fausses» évaluations

Et qu’en est-il lorsque l’évaluation ne vient pas d’un «vrai» client, mais d’un évaluateur, aussi appelé client-mystère, envoyé incognito par l’employeur pour tester son personnel en conditions réelles? Cette forme d’évaluation est admissible, pour autant que les employés en soient informés à l’avance, sachent ce qui sera évalué et ce qu’il convient de faire pour être bien notés. Il faut aussi que l’évaluation tienne compte de leur situation personnelle et du contexte. Ainsi, envoyer des clients-mystère un jour de Black Friday ou de nocturnes de Noël n’est certainement pas conforme à l’obligation de l’employeur de protéger la personnalité de ses employés. Les clients-mystère ne devront en outre pas pousser le personnel à la faute, par exemple en se montrant inutilement pointilleux, voire agressifs.

Parfois, les clients-mystère ne sont pas envoyés par l’employeur, mais par des tiers. C’est notamment le cas des organisations de prévention qui envoient des mineurs acheter de l’alcool ou des cigarettes pour vérifier si la loi qui leur en interdit la vente est respectée. Cette méthode étant controversée, l’employeur ne pourra tenir compte d’un éventuel manquement qu’avec une grande prudence. Même s’il est vrai que vendre une substance interdite à un mineur peut être un motif de licenciement, l’employeur devra dans tous les cas tenir compte du contexte et du fait que son employé a été volontairement piégé.

 

Jean Christophe Schwaab
Docteur en droit et auteur de l’ouvrage Le droit du travail en Suisse: 90 questions-réponses issues de la pratique

90 questions pour tout savoir sur le droit du travail

Dans quels cas parle-t-on de mobbing? Que faire en cas de harcèlement sexuel au travail? Un employeur peut-il diminuer unilatéralement le salaire d’un employé? L’employé peut-il échanger ses vacances contre de l’argent? Peut-on s’absenter du travail pour garder son enfant malade? Qu’est-ce qu’un congé abusif?

Voici quelques-unes des 90 questions qu’adresse Le droit du travail en Suisse. Dans un langage clair et accessible, Jean Christophe Schwaab amène chaque réponse de manière détaillée et nuancée. Un guide pratique et essentiel, à mettre entre toutes les mains.

Pour aller plus loin

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