Comment susciter l’engagement citoyen chez les jeunes et dans la société en général? C’est la réponse qu’essaie d’apporter Lucie Schaeren, coauteure de l’ouvrage Mon carnet citoyen, une méthode de citoyenneté pour le secondaire I. Titulaire d’un master en arts visuels, cette formatrice, sociologue et ancienne enseignante a créé l’association Reliefs, une organisation à la dimension plurielle, à la croisée de ses intérêts artistiques, citoyens et politiques. Elle en est convaincue, c’est en s’intéressant aux besoins des individus qu’on peut les amener à prendre un intérêt dans un système démocratique et à en devenir acteurs.
Je préfère favoriser une démarche pratique, «faire ensemble», plutôt qu’une approche plus cognitive, «penser ensemble».
Vous êtes coauteure de l’ouvrage Mon carnet citoyen, mais aussi artiste, enseignante, sociologue; votre parcours est extrêmement varié!
Lucie Schaeren: En effet, mais il reflète bien mes différents intérêts. Après des études en sociologie, j’ai souhaité développer ma pratique artistique à travers un cursus à l’École d’arts visuels de Sierre. Par la suite, j’ai commencé à enseigner et à donner des formations, mais je sentais le besoin de réconcilier ces intérêts artistiques et sociologiques. C’est pour cette raison que j’ai cofondé l’association Reliefs avec une amie infirmière, un projet né d’un sentiment commun d’impuissance citoyenne. En effet, nous souhaitions offrir une approche pratique et dynamique de l’engagement citoyen, qui m’a personnellement fait défaut dans le milieu scolaire.
Votre association Reliefs est destinée à améliorer la cohésion sociale. Quelle est concrètement son action?
Elle propose des approches pour renforcer les liens et favoriser l’engagement citoyen à travers des rencontres entre différents groupes sociaux. En ce moment, nous avons un mandat de la Ville de Lausanne pour développer le Budget Participatif, qui vise à inviter les citoyennes et citoyens à se réapproprier l’espace urbain et les lieux dans lesquels ils vivent. Par ailleurs, nous avons également développé le projet Malley-en-Tête, dont le but est d’amener des jeunes issus de la migration – notamment de l’Établissement vaudois pour l’accueil des migrants (EVAM) –, et du quartier en général, à travailler ensemble et à développer leur désir de participation. En somme, nous favorisons une démarche pratique, «faire ensemble», plutôt qu’une approche plus cognitive, «penser ensemble».
En matière d’apprentissage de la citoyenneté, vous vous distanciez donc d’une approche purement intellectuelle, davantage ancrée dans le domaine scolaire…
Exactement. Les jeunes ont souvent l’impression d’être confinés à la salle de classe, sans réel sens pratique de la portée potentielle de leurs actions. C’est d’ailleurs l’angle que Yannis Papadaniel et moi-même avons souhaité développer avec Mon carnet citoyen: fournir des pistes concrètes pour activer leur engagement citoyen. À titre d’exemple, j’avais mené un travail sur les droits fondamentaux avec une classe. Les élèves devaient piocher dans les journaux des sujets qui les intéressaient. Le projet amenait en outre une dimension collective et un pouvoir d’action, car leur travail a été affiché dans les couloirs, où tout le monde pouvait le voir. Ils devaient donc s’engager pour leurs projets, et les thèmes choisis ont été très variés: droit à l’adoption pour les couples homosexuels, égalité salariale, chiens dangereux, ou encore écologie.
On ne peut pas demander aux jeunes de s’intéresser à notre système démocratique si l’on refuse de garantir leurs propres intérêts.
On évoque souvent le manque d’engagement des jeunes dans les processus démocratiques, qui ne seraient plus ou pas intéressés par la politique. Est-ce le cas?
Non, pas du tout. À mes yeux, il s’agit d’une simplification qui ne fait pas vraiment sens. Le fait est qu’on ne peut pas demander aux jeunes de s’intéresser à notre système démocratique si l’on refuse de garantir leurs propres intérêts. Dans le cadre du projet mené à Malley, je préfère favoriser l’écoute, par exemple en invitant les mineurs non accompagnés (MNA) de l’EVAM à s’exprimer sur leurs besoins. Ils se résument au nombre de quatre: avoir des amis, un logement, une formation, un stage. De même, j’ai beaucoup échangé avec des apprentis en dessin technique, qui ont évoqué leur besoin de perspectives professionnelles. Il s’agit d’un contrat entre eux et la société. Si celle-ci ne le respecte pas, ils seront moins ouverts à adopter une attitude citoyenne.
Quel est le rôle de l’enseignement de la citoyenneté à l’école?
Il est fondamental. Pourtant, il y a déjà quelques années, les autorités pédagogiques du canton de Vaud ont supprimé la période hebdomadaire dédiée à cet enseignement. Par conséquent, le corps enseignant doit le «caser» dans d’autres disciplines telles que l’histoire ou la géographique. De fait, malgré le rôle crucial qu’elle joue dans la cohésion sociale, elle est reléguée à une place marginale. Je me rappelle qu’un enseignant m’avait appelé en larmes après la tuerie de Charlie Hebdo, en répétant qu’il fallait absolument enseigner la citoyenneté dans les écoles. Bien sûr, c’est une évidence, même si une telle initiative ne réglerait pas tous les problèmes sociaux auxquels les sociétés européennes doivent faire face en un jour.
Concrètement, comment «activer» cet engagement citoyen chez les jeunes?
À mon sens, il ne s’agit pas tant de décortiquer le fonctionnement du système démocratique que de leur donner envie de s’engager et de voter. Pour y parvenir, il est important de s’éloigner du rôle de transmetteur de connaissances dont ont hérité les enseignants pour se tourner vers des outils d’accompagnement d’un cheminement intellectuel. Lors de mes années d’enseignement, nous avions étudié le règlement de l’établissement. Les élèves avaient fait remarquer, avec pertinence, qu’ils ne comprenaient pas pourquoi ils devaient retirer bonnets et casquettes dans l’enceinte de l’établissement. Nous avions rédigé une lettre au directeur, l’invitant à venir en discuter avec la classe. Il avait accepté et, réalisant que cette loi n’avait pas de réelle justification, l’avait supprimée du règlement. Ce genre d’action est très importante, car elle montre aux jeunes que leur engagement, même à petite échelle, peut avoir des conséquences. Qu’ils ont le pouvoir de changer les choses.
Comment amener les élèves à s’intéresser à la citoyenneté?Mon carnet citoyen, des pistes concrètes et pratiquesÉlaboré par Lucie Schaeren et Yannis Papadaniel, Mon carnet citoyen propose un outil de citoyenneté pour le secondaire I composé d’un livre de l’élève et d’un livre de l’enseignant. La méthode ne résume pas cet enseignement à la pratique du débat mais propose des cas concrets à aborder avec les élèves en classe. Pour Lucie Schaeren, «l’idée était d’offrir un support pratique aux enseignants. D’où le titre ‘carnet’ plutôt que ‘cahier’, car il s’agit d’un outil que les élèves peuvent librement s’approprier au fil du développement de leurs idées.» Mon carnet citoyen est aussi disponible en allemand. En cas d’intérêt pour la méthode, les auteurs proposent volontiers des formations aux enseignants. Contact ici. |
Pour aller plus loin
- Plus d’infos sur Mon carnet citoyen (comprend le livre de l’élève, une brochure de l’enseignant et un poster)
- Site internet de Lucie Schaeren: www.lucieschaeren.ch
- L’association Reliefs
- Le Budget Participatif de la Ville de Lausanne