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La vie de Rousseau contée par Roland Biétry

par | 25 avril 2017 | Papiers d'auteurs, Roland Biétry

Jean-Jacques Rousseau, lithographie de Desmaisons. © Illustration ND / Roger-Viollet
Saviez-vous que Rousseau s'est converti au catholicisme par amour? Notre auteur Roland Biétry nous dit tout sur sa vie.
Roland Biétry, auteur de l'ouvrage «Précis d’histoire de la littérature française».

Roland Biétry, auteur de l’ouvrage «Précis d’histoire de la littérature française». © Photo Olivier Maire

Issu d’une famille protestante d’origine française, Jean-Jacques Rousseau naquit à Genève en 1712 et perdit sa mère à sa naissance. Son père, horloger de profession, est un homme instable qui abandonne ses deux fils à eux-mêmes (le frère de Jean-Jacques disparut un jour sans laisser de trace). À la suite d’une rixe qui le contraint à s’exiler, le père place Jean-Jacques chez un pasteur, chez qui le jeune garçon vit heureux pendant deux ans, s’occupant à lire et à rêver.

En 1725, il commence un apprentissage chez un graveur qui le traite brutalement. Un jour de 1728, il se rebelle et s’enfuit en Savoie. Il est recueilli par Madame de Warens, jeune et jolie dévote, de six ans plus âgée que lui mais qu’il appelle affectueusement «Maman», et pour l’amour de laquelle il accepte de se convertir au catholicisme et d’entrer à l’Hospice du Saint-Esprit de Turin. Baptisé, il vagabonde de ville en ville, apprend la musique, trouve des emplois de fortune, puis revient en 1731 chez Madame de Warens. Dans son domaine des «Charmettes», près de Chambéry, celle-ci devient sa maîtresse, alors qu’elle entretient déjà une liaison avec son intendant. Pendant quelque temps, Jean-Jacques connaît néanmoins le bonheur, mais Madame de Warens finit par se lasser de lui. Resté seul aux « Charmettes », amer, il continue de s’y instruire en autodidacte, avant de trouver une place de précepteur chez Monsieur de Mably, à Lyon, en 1740.

Hommes, soyez humains, c’est votre premier devoir; soyez-le pour tous les états, pour tous les âges, pour tout ce qui n’est pas étranger à l’homme. Quelle sagesse y a-t-il pour vous hors de l’humanité?

 

Émile ou De l’Éducation

En 1742, il se rend à Paris pour présenter à l’Académie des sciences un nouveau système de notation musicale. Il n’obtient pas le succès escompté mais noue des relations dans les milieux littéraires et mondains (avec Marivaux et Diderot, notamment). En 1743, il accepte le poste de secrétaire de l’ambassadeur de France à Venise. Celui-ci le traitant avec morgue, Rousseau le quitte après quelques mois et rentre à Paris. À nouveau amèrement dépité, tentant vainement de se faire un nom tant en littérature qu’en musique (une brève collaboration avec le grand compositeur Rameau ne fait que l’aigrir davantage), Rousseau se met en ménage avec une lingère, Thérèse Levasseur (qui ne le quittera plus et qu’il finira par épouser vingt ans plus tard). L’année suivante, en 1746, prétextant sa pauvreté, il dépose son premier-né à l’Hospice des Enfants-Trouvés (il fera de même avec ses quatre autres enfants). Il conserve néanmoins ses relations, donne des leçons de musique, rédige les articles musicaux de l’Encyclopédie.

Enfin, en 1750, le concours de l’Académie de Dijon lui acquiert la notoriété en couronnant son Discours sur les Sciences et les Arts, dans lequel il vante les mérites de la simplicité et des vertus primitives. Fort de cette première consécration, qui met en lumière l’originalité de sa position (opposée à celle des philosophes), il se détourne alors de la vie mondaine pour suivre désormais sa voie solitaire: en 1752, il accueille avec un ombrageux dédain le succès de son opéra Le Devin du Village, et deux ans plus tard, il retourne à Genève pour abjurer le catholicisme et y reprendre sa citoyenneté. En 1755, il y publie, dans le fil du premier, mais en accentuant nettement son opposition au progrès, son Discours sur l’Origine de l’Inégalité. Cette fois, ses thèses sont jugées excessives et elles ne lui valent guère que l’étonnement réprobateur des philosophes et les railleries de Voltaire.

Je ne suis point à l’épreuve de tant d’amour; ma résistance est épuisée. J’ai fait usage de toutes mes forces; ma conscience m’en rend le consolant témoignage. Que le ciel ne me demande point compte de plus qu’il ne m’a donné!

 

Julie ou la Nouvelle Héloïse

Rentré en France l’année suivante, Rousseau (toujours accompagné de Thérèse) s’installe dans le petit domaine que Madame d’Epinay, liée aux philosophes, met à sa disposition: l’«Hermitage», dans la forêt de Montmorency. Ce renouement avec la vie champêtre, d’abord bienfaisant, le plonge rapidement dans la mélancolie. Étreint par la nostalgie des moments heureux de sa jeunesse, accablé par l’échec de sa vie sentimentale, il se réfugie dans l’imaginaire et s’enivre d’amours fictives: pendant deux ans, il rédige les lettres qui composeront les quatre premières parties de son grand roman, Julie Or, en 1758, la réalité recoupe soudain la fiction: Rousseau va entretenir, pendant quatre mois, une relation aussi passionnée que scabreuse avec Sophie d’Houdetot, belle-sœur de son hôtesse. Ce bref et tumultueux épisode l’amène à ajouter deux parties à son roman, qu’il intitule désormais Julie ou la Nouvelle Héloïse.

Aimez l’enfance; favorisez ses jeux, ses plaisirs, son aimable instinct. Qui de vous n’a pas regretté quelquefois cet âge où le rire est toujours sur les lèvres, et où l’âme est toujours en paix?

 

Émile ou De l’Éducation

Entre-temps, la publication de sa Lettre à d’Alembert sur les Spectacles a jeté la consternation autour de lui. Réponse à l’article sur Genève de l’Encyclopédie, cette critique sévère du théâtre au nom de la vertu consomme sa rupture avec les philosophes: outre sa brouille avec Diderot (déjà aux prises avec de graves difficultés), elle déchaîne contre lui l’ire de Voltaire. Les trois années suivantes seront à la fois celles de son bref triomphe et du début de son calvaire. En 1761, la publication de La Nouvelle Héloïse rencontre un succès prodigieux: l’édition est épuisée en quelques jours et Rousseau est célébré partout en Europe, au moment même où culmine la bataille des «lumières», comme le chantre de la sensibilité.

Cependant, l’année suivante, il publie coup sur coup deux ouvrages qui vont le précipiter brusquement dans la tourmente: Du Contrat social ou Principes du Droit politique et Émile ou De l’Éducation. La thèse fondamentale du premier, dont s’inspireront directement les révolutionnaires, est que la justification du pouvoir politique réside dans la volonté souveraine du peuple et que seul un gouvernement «républicain» est légitime. Quant à l’Émile, qui prône une pédagogie fondée sur les seules lois de la nature et contient une apologie de la religion naturelle, il déchaînera une véritable tempête. La double condamnation de ces ouvrages aussi bien à Paris qu’à Genève (où déjà son roman avait été brûlé) contraint Rousseau à chercher refuge en Suisse.

Ici commence le court bonheur de ma vie; ici viennent les paisibles, mais rapides moments qui m’ont donné le droit de dire que j’ai vécu. Moments précieux et si regrettés! ah! recommencez pour moi votre aimable cours, coulez plus lentement dans mon souvenir, s’il est possible, que vous ne fîtes réellement dans votre fugitive succession. 

 

Les Confessions

Il s’installe d’abord à Yverdon, dans le Pays de Vaud (alors bailliage bernois), mais en est chassé par un décret du gouvernement. Il gagne alors Môtiers, dans la principauté prussienne de Neuchâtel, où il obtient l’asile. Mais sa situation de banni et les multiples attaques dont il est l’objet (celles de Voltaire n’étant pas les moins violentes), il se persuade peu à peu qu’il est victime d’un complot universel. Dans le dessein de se justifier, il projette la rédaction de ses mémoires. Une nuit de 1765, époque où il a des démêlés avec le pasteur de Môtiers et les autorités neuchâteloises, on lance des pierres contre sa maison. Se sentant plus que jamais traqué, Rousseau se réfugie à l’Île Saint-Pierre, sur le lac de Bienne, mais il en est aussitôt expulsé par les autorités bernoises. Il gagne alors l’Angleterre, à l’invitation du philosophe Hume, en 1766. Il y commence la rédaction de ses Confessions (qu’il achèvera semble-t-il en 1770, mais qui ne seront publiées qu’après sa mort). À peine cinq mois plus tard, une querelle avec Hume, rendue publique par celui-ci à l’instigation des philosophes, l’engage à rejoindre la France sous un faux nom.

Le flux et reflux de cette eau, son bruit continu mais renflé par intervalles, frappant sans relâche mon oreille et mes yeux, suppléaient aux mouvements internes que la rêverie éteignait en moi, et suffisaient pour me faire sentir avec plaisir mon existence, sans prendre la peine de penser.

 

Les rêveries du promeneur solitaire

Au cours des deux années suivantes, de plus en plus obsédé par un sentiment de persécution, il emménage avec Thérèse (devenue sa femme) dans différents endroits. En 1770, il revient à Paris, où il partage son temps entre un emploi de copiste, des travaux de botanique, et la rédaction d’un ouvrage empreint de ses affres, dicté par son obsession du «complot»: Dialogues ou Rousseau Juge de Jean-Jacques (également posthume). Enfin, de 1776 à 1778, il compose les dix «promenades» qui constitueront son ultime œuvre, inachevée: Les Rêveries du Promeneur solitaire. En mai 1778, malade, Rousseau est hébergé avec Thérèse à Ermenonville, à la campagne, où il herborise en paix avant de décéder deux mois plus tard.

Ses cendres seront transférées au Panthéon par la Convention en 1794.

Roland Biétry
Auteur de Précis d’histoire de la littérature française (Volume I: du Moyen âge au XVIIIe; Volume II: XIXe, première partie), Des mots aux textes et de Flaubert, un destin 

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