Ils suscitent de l’angoisse de part et d’autre: les entretiens, souvent redoutés par les parents comme par le corps enseignant. Pourtant, s’ils peuvent faire l’objet de tensions, ils représentent aussi un lieu de rencontre crucial. Avec Se préparer à un entretien avec des parents d’élèves, Bernard André, professeur honoraire à la HEP-Vaud, signe un guide pour préparer au mieux cet espace de dialogue délicat.
Les parents sont souvent très préoccupés par l’avenir de leurs enfants.
Car de nombreuses questions se posent lors de ces entretiens: comment gérer les désaccords? Quid de la relation aux parents, qui peuvent être trop «absents» ou, au contraire, trop «présents»? Avec une grande conscience de leurs enjeux, ce livre pratique et non dogmatique offre de nombreux conseils pour manier l’art de l’écoute et favoriser ainsi le dialogue. Au gré des pages, un fil rouge se dessine: maintenir le lien entre parents et école.
Avec plus de quarante ans d’expérience dans l’enseignement, vous avez une longue carrière à votre actif. Qu’est-ce qui a le plus changé dans le lien entre enseignants et parents?
Bernard André: Dans ce laps de temps, il y a eu, bien sûr, beaucoup de changements. Concernant les parents, je dirais que la plus grande métamorphose touche leur rôle. Comment ils le voient. En effet, depuis les années 1980, ils ont davantage tendance à viser l’épanouissement de leurs enfants, plutôt que leur faire suivre les règles. Bien sûr, il s’agit d’une schématisation, d’un mouvement global de société. Ainsi, les parents d’aujourd’hui sont différents: ils ne sont ni moins bons, ni plus mauvais qu’avant. Surtout, ils éprouvent toujours beaucoup d’amour pour leurs enfants et sont souvent très préoccupés par leur avenir.
Gérer le lien avec les parents, est-ce là l’un des plus grands défis du métier d’enseignant?
Oui, particulièrement quand ils sont perçus comme très, voire trop investis. Pour le corps enseignant, il faudrait toutefois éviter le jugement, de changer le regard. De ne pas les voir comme des parents «mauvais», mais simplement «inquiets». Pareil pour les parents que je décris, dans le livre, comme «absents». Souvent, cette absence a plusieurs causes, mais rarement la démission pure et simple des parents. À l’inverse, certains ont un excès de confiance en l’école, ou ne pensent pas que leur avis pourrait être pertinent. À la suite d’expériences négatives, d’autres ne veulent plus rien avoir à faire avec l’école. Beaucoup d’enjeux complexes et culturels entrent en ligne de compte.
Il s’agit de continuer à faire alliance sur les intérêts communs.
Justement, qu’est-ce qui se joue, fondamentalement, lors de ces entretiens avec les parents d’élèves?
La charge émotionnelle est souvent très forte, particulièrement pour les parents. Après tout, ils sont là pour discuter de la situation et de l’avenir de leur enfant. Et il est une chose qui n’est pas forcément évidente pour eux, qu’il est toujours bon de rappeler en début d’entretien. Le but des enseignants est toujours que les élèves soient bien dans leur classe. Il s’agit d’un élément sur lequel tout le monde peut se mettre d’accord. À partir de là, il s’agit de continuer à faire alliance sur les intérêts communs, ce qui n’est pas toujours facile. En effet, on estime qu’environ 50% des parents n’ont pas confiance dans l’école. Ce constat s’inscrit dans le mouvement généralisé d’érosion des institutions, et se traduit par une défiance qui endommage la relation.
De l’autre côté, il n’est pas facile pour les enseignants de se sentir remis en question dans leur pratique professionnelle, voire, parfois, d’être critiqués frontalement. Si le réflexe est souvent d’être sur la défensive, il faut, à mon sens, à tout prix éviter l’escalade. Privilégier l’écoute, et se rappeler que, si la personne se met à vociférer, cela en dit plus sur elle-même que sur moi.
Dans Se préparer à un entretien avec des parents d’élèves, vous préconisez de favoriser l’écoute, notamment en maniant l’écoute active ou bienveillante. N’est-ce pas une forme de manipulation de la part des enseignants?
Je ne parlerais pas de manipulation, mais plutôt d’influence. En effet, en maniant l’écoute active ou bienveillante, le but est de se décentrer pour laisser la place à l’autre et à son ressenti. D’où l’idée de reformuler ce qui a été dit, de laisser la place aux silences et aux émotions, même négatives. Bien sûr, au départ, ce type d’échange peut sembler un peu artificiel, car il y a de la technique derrière. Toutefois, c’est comme faire ses gammes: avec de la pratique, cela devient naturel. Si on reste dans le pur calcul, ça ne marche pas de se tourner vers le parent et dire: «j’ai l’impression que ce sujet vous cause du souci». Cela sera mal perçu. Mais si on a véritablement à cœur que la relation avec l’élève et ses parents se passe au mieux, que l’intention est ancrée dans le respect, l’écoute fonctionne et le dialogue est amorcé.
Le partenariat école-famille est-il moins intuitif que par le passé?
Je dirais qu’il est naturel pour la majorité des parents. Ce n’est qu’une minorité qui est problématique. À ce sujet, on peut faire le parallèle avec les élèves. Si vous avez un élève difficile par classe, cela peut déjà se révéler ardu. Si vous en avez un ou deux de plus, ça devient très compliqué. De l’autre côté, une minorité d’enseignants peut aussi se révéler incompétente ou, en tout cas, peu ouverte au dialogue. C’est un phénomène qu’on retrouve dans tous les métiers. Pourtant, et je l’ai véritablement constaté dans le cadre des ateliers que je donne sur le sujet, en refusant le jugement, en maintenant le lien, cela fonctionne. Le dialogue entre la famille et l’école continue, au bénéfice de tout le monde, et tout particulièrement des élèves.
Pour aller plus loin
- Plus d’informations sur Se préparer à un entretien avec des parents d’élèves
- Biographie de Bernard André
- Découvrir les ateliers que donnent l’auteur sur son site Elucide