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Daniel Curnier fait comprendre les liens entre L’être humain et le système Terre

par | 20 janvier 2025 | Daniel Curnier, Interviews

«Mon espoir est de contribuer à former une génération d’êtres humains qui auront une meilleure compréhension des enjeux globaux.»
Enseignant de géographie et docteur en sciences de l’environnement, Daniel Curnier publie L’être humain et le système Terre. Destiné tant aux classes du secondaire II qu’au grand public, cet ouvrage a pour but d’expliquer les défis planétaires du XXIe siècle.

Comment expliquer les bouleversements écologiques dus au dépassement des limites planétaires, sans tomber ni dans la complaisance ni dans l’alarmisme? C’est dans sa pratique professionnelle au Gymnase pour adultes et en école professionnelle que Daniel Curnier a fait ce constat: les ouvrages scolaires actuels ne permettent pas de rendre compte des processus planétaires en cours. Il décide alors d’en rédiger un. Le résultat, L’être humain et le système Terre, est un livre qui détaille la complexité des liens entre les êtres humains et leur environnement à l’échelle globale, ainsi que leur interdépendance.

Comment traiter avec les élèves d’informations potentiellement anxiogènes, tout en les poussant à agir?

Auteur d’une thèse sur le rôle de l’école dans la transition écologique, Daniel Curnier est bien placé pour savoir que l’éducation est essentielle pour former les citoyennes et citoyens de demain. Et il en est convaincu: amener à comprendre fait partie de la solution, car cela donne tant les moyens de définir des pistes de transformation que de prendre part au débat.

 

Amener les étudiantes et étudiants à comprendre les enjeux écologiques, c’est le but de votre livre L’être humain et le système Terre. Quel a été son point de départ?

Daniel Curnier: Ma pratique professionnelle, tout simplement. Au niveau du secondaire II, il n’existe pas de livre de géographie imposé ou largement adopté. Dans le cadre de mon enseignement, j’ai fait comme nombre de mes collègues. J’ai expérimenté en cours, au contact des élèves et de leurs retours, afin de construire et synthétiser du matériel pédagogique. Au bout d’un moment, j’ai eu le matériel suffisant pour constituer un livre de cours.

 

Structuré en quatre chapitres, «La Terre en tant que système», «Les limites planétaires», «Les activités humaines» et «Les défis actuels», il aborde des thèmes aussi variés que les limites planétaires, la géologie, l’énergie ou la démographie. Pourquoi cette approche pédagogique

Avec ce livre, mon but était de présenter une sélection cohérente de thèmes contemporains traités de manière interdisciplinaire. L’enjeu, avec l’enseignement de disciplines comme la géographie, c’est qu’il faut constamment mettre à jour ses connaissances. Par exemple, aborder le sujet des transports sans parler des conséquences de la consommation énergétique serait anachronique. L’approche serait trop cloisonnée, trop restreinte.

J’ai donc souhaité que le livre soit actuel du point de vue des contenus et de l’articulation des thèmes. En ce sens, il ne s’agit pas de chapitres présentés de manière séquentielle, indépendamment les uns des autres. Chaque chapitre nourrit l’autre et affine la compréhension des enjeux planétaires.

Il n’y a pas d’indifférence. Ces sujets touchent quelque chose chez tout le monde.

Le livre s’adresse à toute personne intéressée par la planète Terre, l’avenir de l’espèce humaine et les enjeux environnementaux et techniques, mais aussi aux enseignantes et enseignants du secondaire II. Comment peut-on l’utiliser?

Cela dépend si on enseigne aux jeunes qui suivent une filière professionnelle ou l’école de maturité. Dans le premier cas, le livre peut être utilisé comme support du cours «Technique et environnement», dont il suit très bien le plan d’études. Au gymnase, c’est un peu plus compliqué, car le plan d’études est moins dirigiste, mais aussi moins contemporain dans son contenu. Dans ce cas, on peut par exemple l’utiliser comme livre de référence pour la première année d’enseignement.

En parallèle, libre aux enseignantes et enseignants de construire des activités, dossiers de sources ou travaux pratiques. Dans cette optique, le livre se présente avant tout comme un noyau théorique et solide – un socle de connaissances, sur lequel construire son enseignement.

 

Pollution des sols, points de ruptures des cycles naturels, surconsommation… les sujets anxiogènes y foisonnent. N’y a-t-il pas un risque de malmener les élèves et le lectorat dans son ensemble?

Il s’agit d’un questionnement permanent pour moi et beaucoup de mes collègues. Comment traiter avec les élèves des informations potentiellement anxiogènes tout en les poussant à agir? Plus j’avance, moins j’ai de certitudes. Mon approche est d’écarter ce qui ne marche pas, et d’expérimenter chaque année de nouvelles pistes.

Un de mes collègues me confiait récemment qu’il souhaitait passer une année sans parler de crise climatique ou écologique, car la géographie, selon ses mots, devrait «faire rêver». En tout cas, c’était ce rêve qui l’avait amené à enseigner la géographie. Je le comprends. Moi aussi, parfois, je suis fatigué de traiter cette matière. Il en va toutefois de notre responsabilité. Aujourd’hui, j’estime que ce serait grave que nos élèves terminent leur formation sans avoir abordé ces questions.

Si le problème n’est pas compris finement, les solutions imaginées par les élèves seront souvent un peu naïves.

Justement, comment réagissent les élèves?

La question est délicate, d’autant que les réactions sont très variées. Certaines personnes sont dans le rejet, car elles ont trop entendu parler de ces enjeux et voient bien que le changement se fait attendre du côté des politiques. Certaines sont tout simplement angoissées, et cette écoanxiété peut s’avérer paralysante. D’autres, enfin, sont portées par la question, qui – le terme est peut-être un peu fort – les passionne ou, du moins, les interpelle. Ce qui est certain, c’est qu’il n’y a pas d’indifférence. Cela touche quelque chose chez tout le monde.

 

D’un point de vue pédagogique, qu’est-ce qui ne marche pas pour pousser les jeunes à s’emparer du sujet?

À mon sens, comme on le préconise parfois de manière très théorique, dire rapidement ce qui ne va pas, puis embrayer directement sur des pistes d’actions. Le problème, c’est que si le problème n’est pas compris finement, les solutions imaginées seront souvent un peu naïves. Les élèves évoqueront très spontanément des solutions individualisantes ou technosolutionnistes, comme les écogestes ou l’électrification du parc automobile.

Or, si on ne comprend pas le système dans son ensemble, on réalise qu’en termes d’impact énergétique, les écogestes sont exagérément valorisés, comparé aux décisions politiques et économiques. De même, l’électrification du parc automobile engendre de nombreux problèmes, notamment au niveau de l’extraction des ressources et de la consommation d’électricité. Le modèle des limites planétaires montre bien qu’aborder le problème seulement sous l’angle climatique ne suffit pas, car cette approche exclusive aggravera d’autres crises, comme celles de la biodiversité ou de la pollution chimique.

 

On pourrait vous reprocher d’être militant avec ce livre. Que répondriez- vous?

Que ce livre rend accessible les savoirs académiques les plus récents sur la question. En ce sens, il n’est absolument pas militant. Dans la conception du livre, ma démarche a été de creuser les thèmes en adoptant une approche scientifique. C’est aussi pour cette raison que je l’ai fait relire à de nombreux experts, dont deux auteurs du GIEC. Par ailleurs, Nicolas Kramar, directeur du Musée de la Nature de Sion et spécialiste de l’Anthropocène, a rédigé la préface.

Il ne s’agit donc pas d’une vue de l’esprit, mais d’un ensemble de faits, la synthèse d’un consensus scientifique. En revanche, j’assume une part de subjectivité dans la conclusion et dans les choix opérés en termes de contenu, car j’ai opté pour ceux qui me semblaient les plus pertinents pour comprendre le contexte mondial contemporain.

 

Avec ce livre, quel est votre espoir?

De contribuer à former une génération d’êtres humains qui auront une meilleure compréhension des enjeux globaux. Si, dans le cadre de mon enseignement, je tente d’adapter mon approche d’année en année, une chose ne change pas. Je conclus toujours en disant : «Voilà, vous savez déjà plus de choses à ce propos que 98% de la population suisse. Avec cette connaissance, vient une responsabilité».

Cela ne veut pas dire que les élèves doivent toutes et tous faire un cursus de géosciences. Toutefois, ce savoir peut être intégré dans leur future profession, que ce soit dans la santé, le bâtiment, les services ou n’importe quel domaine. Une compréhension fine des concepts et des savoirs théoriques leur permettra d’avoir les outils nécessaires pour penser des changements pertinents, à leur échelle.

 

Livre «L’être humain et le système Terre»

Doté de nombreuses infographies et illustrations réalisées par Stéphanie Wauters, «L’être humain et le système Terre» présente les liens entre notre planète et les êtres vivants qui la peuplent, ainsi que leur interdépendance. Ce faisant, il rappelle que, la Terre fonctionnant en tant que système, l’être humain est profondément inscrit dans ses rouages et ne peut en être dissocié.

 

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