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Marie Sellier: le métier d’autrice

par | 20 mars 2019 | Catherine Louis, Chroniques de l’édition, Interviews, Marie Sellier

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Marie Sellier revient sur son parcours, son rapport à l’écriture et le futur du livre.

Plus de 100 livres publiés en 25 ans: voilà, en peu de mots, le résumé provisoire de la carrière de Marie Sellier, célèbre autrice de livres jeunesse. Petit dernier de cette grande fratrie, Les yeux de Bianca, un livre de sensibilisation à la malvoyance paru en novembre dernier et illustré par Catherine Louis. Mais au-delà de ce chiffre impressionnant, on trouve un parcours d’une grande richesse. Elle l’affirme, l’écriture de livres pour enfants a bien plus d’implications qu’il n’y paraît de prime abord: elle permet de faire le lien entre les générations, de conjuguer le texte et l’image pour interpeller et aider à grandir.

Détail du livre «Les yeux de Bianca», de Marie Sellier et Catherine Louis.

Détail du livre «Les yeux de Bianca», de Marie Sellier et Catherine Louis. L’écriture braille apparaît sur la page de droite.

Malgré son amour pour le secteur du livre, elle insiste sur le fait que ce dernier est en crise – la faute à une surproduction éditoriale et au statut de plus en plus précaire des auteurs. En tant que présidente de la Société des gens de lettres, basée à Paris, elle est partie prenante des batailles à mener pour continuer à faire vivre le livre, envers et contre tout. Entretien avec une esthète des mots.

 

Autrice de livres pour enfants, ce n’est pas un choix de carrière commun. Comment en vient-on à faire ce métier?

Marie Sellier: Dans mon cas, par quelques chemins de traverse, car j’ai commencé ma carrière dans le domaine de l’économie. À l’origine, j’ai fait Sciences Po (Institut d’Études Politiques de Paris), ce qui m’a amenée à devenir journaliste pour le magazine L’Usine Nouvelle. Toutefois, le moment est venu où j’en ai eu assez de fréquenter des hommes en costumes gris. Je suis donc allée voir du côté de la jeunesse et suis entrée à Okapi, l’un des journaux du groupe Bayard Presse, où j’ai découvert la subtilité du rapport texte-image. Plus tard, j’ai approché la Réunion des Musées nationaux (RMN) pour leur proposer un concept de livres d’art pour les jeunes. De fil en aiguille, j’ai développé six collections dans ce domaine pour la RMN, pour Paris Musées et pour Nathan. Mais c’est avec la publication de L’Afrique, petit Chaka, illustré par Marion Lesage (RMN), que j’ai véritablement pris goût à la fiction. C’était en 2000 et depuis, je n’ai plus arrêté. Pour mon plus grand bonheur.

La langue doit sonner juste. Si ce travail est abouti, le texte devient alors un flux limpide, comme de l’eau courante.

Il s’agit d’un grand écart troublant: de l’économie à l’art, puis aux livres jeunesse…

De l’économie à la jeunesse, j’ai en apparence fait le grand écart, mais peut-être moins qu’il n’y paraît.  Toutes ces expériences m’ont permis d’affiner des types d’écriture différents et néanmoins complémentaires. Au pragmatisme et à la précision de l’écriture journalistique j’ai ajouté une dimension poétique qui permet, à mon sens, d’approcher au plus près du mystère de la création artistique. Ces deux approches m’ont aidée à développer une langue charnelle et dépouillée. Il s’agit d’une écriture à l’os, qui gomme tout ce qui est superflu et recherche toujours le mot juste. Les images évoquées peuvent être simples, mais la langue ne doit jamais être simpliste. Il est important qu’elle sonne juste, que le texte ait son propre tempo, sa propre musicalité, tout en allant à l’essentiel. Si ce travail est abouti, le texte devient alors un flux limpide, comme de l’eau courante.

Détail du livre «Les yeux de Bianca», de Marie Sellier et Catherine Louis.

Détail du livre «Les yeux de Bianca», de Marie Sellier et Catherine Louis.

Quelles sont les qualités d’un bon livre jeunesse?

En premier lieu, et de manière très spontanée, l’adulte doit pouvoir le lire à l’enfant, sans changer un mot ou une virgule. Il est essentiel que le lecteur soit «harponné» dès les premières lignes, puis maintenu  en ébullition tout au long du récit jusqu’à la chute. C’est essentiel, une bonne chute! Entendez par là une conclusion qui ne laisse pas sur sa faim, ne déçoive pas, mais fasse rire ou sourire, incite à la relecture. Par ailleurs, le rapport entre le texte et l’image a aussi son importance, car les deux aspects sont indissociables dans la narration de l’histoire. Leur conjugaison doit être harmonieuse en se gardant de toute redondance. J’ai pour habitude de toujours revisiter mes textes à l’aune des illustrations, de les retailler sur mesure pour une cohérence maximale. Enfin, comme pour tout bon livre, le lecteur devrait le refermer et y réfléchir un instant, parce qu’il lui aura amené quelque chose.

Aujourd’hui, il faut faire trois livres
pour en vendre un.

En tant que présidente de la Société des gens de lettres, quel regard portez-vous sur l’actualité du livre?

Elle est très préoccupante. L’an dernier, 81’000 livres ont été publiés en langue française, ce qui revient à plus de 200 nouveautés par jour! C’est beaucoup trop pour le public, pour les libraires et pour les journalistes, qui ne peuvent pas suivre. Le secteur jeunesse a longtemps été préservé, mais nous sommes désormais dans la même situation pléthorique que les autres secteurs. Le tirage moyen a baissé et de plus en plus de livres ne sont pas réimprimés. Résultat, le statut des auteurs est devenu plus précaire, et de moins en moins de personnes arrivent à vivre de leur plume. C’est un leurre de penser que la surproduction sert la diversité. Face à l’offre surabondante, les gens ont tendance à se rabattre sur les classiques et les best-sellers, ce qui creuse encore l’écart de revenu entre les auteurs. Il est aberrant que tant de livres ne se vendent pas, que certains n’arrivent même pas sur la table des libraires. Quand on sait qu’il faut aujourd’hui faire trois livres pour en vendre un, on se dit qu’il est urgent de repenser le système.

 

Comment endiguer cette crise du secteur?

Il s’agit d’un crève-cœur pour les auteurs, mais les éditeurs doivent davantage choisir, et donc, faire moins de livres. S’engager pour leurs livres, revenir à une ligne éditoriale plus stricte et publier uniquement les projets qu’ils souhaitent défendre et porter jusqu’au bout. Le fait de sélectionner touche le cœur même de la question de l’écriture, de ce qu’on souhaite transmettre. Cette question de la transmission est aussi ce qui me passionne dans mon choix de me consacrer à la littérature jeunesse. C’est une véritable école de modestie, qui nous ramène à l’essentiel et à la question: «Qu’ai-je envie de transmettre?» Ma grand-mère m’a beaucoup donné. À mon tour, je donne aux grands-parents et aux parents qui lisent à leurs enfants. Et à leur tour, ces lecteurs qui ont aimé un livre en deviennent les ambassadeurs auprès de leur entourage et du monde. C’est un cycle pluriel, qui se renouvelle avec chaque livre.

 

Collection d’albums jeunesse «Comprendre la différence»

Les six titres de la collection: «Hasan venu d’ailleurs» sur la migration, «Camille aux papillons» sur l’identité de genre, «Roule, Sasha!» sur le handicap physique, «Juma écoute avec les yeux» sur la surdité, «L’île de Victor» sur l’autisme et «Les yeux de Bianca» sur la malvoyance.

Comprendre la différence

Ce livre s’inscrit dans la collection Comprendre la différence, née d’une volonté d’offrir aux enfants des clés pour mieux comprendre et approcher la différence. Avec, toujours, un fil rouge au cœur des ouvrages: mener à une meilleure compréhension de l’altérité.

Marie Sellier et Catherine Louis ont signé deux autres albums: Les yeux de Bianca sur la malvoyance et Roule, Sasha! sur le handicap physique. Pour leur part, l’autrice Mary Wenker et l’illustratrice Amélie Buri ont abordé le thème de la surdité avec Juma écoute avec les yeux, de l’identité de genre avec Camille aux papillons et de la migration avec Hasan venu d’ailleurs.

Chaque titre est doté d’un dossier pédagogique, accessible gratuitement en ligne.

 

Pour aller plus loin

 

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