C’est à l’avenue Verdeil qu’elle se dresse, au sein d’un quartier cossu. Une villa semblable à toutes les autres, avec un portail où le sigle du CHUV est placardé. Et pour cause, c’est au Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (SUPEA) que le Centre thérapeutique de jour pour adolescents, ou CTJA, est rattaché. En tout, il accueille dix-huit adolescentes et adolescents de treize à dix-huit ans. «Ces jeunes ont comme point commun un vécu de souffrance psychique qui perturbe leur développement et amène à un décrochage scolaire, explique Rihab Gadhoum, médecin assistante. Les troubles sous-jacents sont divers: cela va de la dépression aux psychoses, en passant par des troubles anxieux ou de la personnalité. Parfois, ces troubles se conjuguent. Très souvent, l’environnement familial est fortement impacté.
Le fil rouge est l’aspect individualisé de la prise en charge.
D’où la nécessité d’une prise en charge complète et étendue. Avec une vingtaine de jeunes pour autant de membres de l’équipe pluridisciplinaire, le centre compte des professions aussi variées que psychiatre, psychologue, infirmier, ergothérapeute, assistante sociale, éducateur, enseignante spécialisée ou secrétaire. Autant de personnes qui encadrent et soignent ces jeunes en situation de grande souffrance, à la fois avec des cours, des ateliers et des entretiens thérapeutiques.
Un suivi sur mesure
Au CTJA, les ateliers commencent à 9h30 et se terminent à 16h: maths, anglais, culture générale, mais aussi ergothérapie, relaxation ou approche du monde professionnel (AMP). C’est dans le cadre de cet atelier pédagogique qu’a d’ailleurs été élaboré Postulo, un jeu de rôle pour imaginer son avenir professionnel, paru en novembre 2024 aux Éditions Loisirs et Pédagogie (voir encadré). Dans tous ces espaces de soin, le fil rouge est l’aspect individualisé de la prise en charge. Au cours de maths, deux enseignants encadrent une classe de huit élèves. Aujourd’hui, seulement trois jeunes filles leur font face: trois de leurs camarades sont à l’école, dans le cadre d’une réinsertion scolaire, et un en stage. Une autre est absente.
«Au vu de leurs troubles, il peut être difficile pour les jeunes de se lever le matin, note Véronique Pin, responsable pédagogique et membre de l’équipe enseignante, uniquement composée d’enseignants spécialisés. Une limite du CTJA est qu’on ne peut pas les forcer à venir. Nous ne pouvons soigner que celles et ceux qui réussissent à investir le travail que nous proposons. En classe, il est important de s’adapter à leur état du jour. Parfois, on vient les chercher pour un entretien, parfois, selon leurs besoins, nous les invitons à aller en salle de repos.» Le choix des matières est individualisé en fonction du niveau des jeunes. Par hasard, aujourd’hui, tout le monde travaille sur les fractions. Les deux enseignants travaillent en binôme avec deux des élèves, tandis que la troisième s’adonne à des exercices de manière autonome.
Avec patience et bienveillance, Mickaël, l’un des enseignants, utilise des pièces de puzzle pour figurer des parts de tarte. «J’aimerais un dixième de tarte à la myrtille, quelle part est équivalente?» La jeune fille réfléchit, tâtonne, avant de trouver la bonne réponse. «Nous tentons de leur offrir une expérience réparatrice de l’école, car la structure scolaire les a mis en difficulté par le passé du fait de leur fragilité psychique, que ce soit par la pression du groupe, les exigences du programme, les échecs ou les humiliations», précise Véronique Pin.
À la fin du cours, un exercice inspiré de l’émission «Des chiffres et des lettres» mobilise cerveaux et crayons. Comment trouver 802 avec un 6, 1, 2, 7, 50 et 5, en sachant que les chiffres ne peuvent être utilisés qu’une seule fois? Silence et concentration. «C’est vrai qu’il est difficile, celui-là, d’exercice», concède Véronique Pin. Tout à coup, une main se lève – une élève a trouvé la solution: «Ce serait pas que tu additionnes 7 + 1, ça donne 8, 8 multiplié par 50, on arrive à 400. Après, tu soustrais 5 de 6, ça donne 1, additionné à 400, on arrive à 401, multiplié par 2, 802?» C’est juste, et cette bonne réponse de la jeune fille s’accompagne d’un sourire teinté de fierté.
Accompagner et soigner
«Au cœur des soucis de ces jeunes, on trouve souvent des liens interpersonnels difficiles, souligne Louise Jeckelmann, psychologue assistante. Lors des entretiens individuels, notre rôle est de rassembler toutes les informations provenant du CTJA, de l’école, des interactions avec les amis, de la famille, pour ensuite chercher à comprendre avec le ou la patiente ce qui se passe actuellement.» Justement, comment soigne-t-on ces jeunes, qui sont à peine plus que des enfants? Souvent, un traitement médicamenteux est proposé. Selon Rihab Gadhoum, «il s’agit d’une béquille pour permettre un travail psychothérapeutique ainsi qu’une prise en charge à travers les ateliers artistiques, corporels, ludiques et thérapeutiques.»
«Au cœur des soucis de ces jeunes, on trouve des liens interpersonnels difficiles.»
«Leur but est de libérer la parole et la pensée, explique Frédéric Lambelet, éducateur spécialisé. Par exemple, au travers de l’atelier d’entraînement aux habiletés sociales, nous les amenons à jouer des situations en groupe dans le but de renforcer l’estime, la confiance et l’affirmation de soi. Autre exemple, si un jeune ressent de l’anxiété dans la foule, nous pouvons l’accompagner progressivement à faire face à ce genre de situation grâce à des outils de relaxation.»
(Re)trouver un projet de vie
Avec, comme l’un des objectifs, un projet de vie pour la fin de la prise en charge au CTJA, qui s’étend en moyenne sur six à neuf mois. «Pour certaines, il s’agit d’un retour à l’école, précise Véronique Pin. Pour d’autres, d’un projet professionnel, voire même du deuil de l’école ou d’un parcours académique.» Assistante sociale, Melody Fernandez abonde dans ce sens: «Nous travaillons avec de nombreux instituts de formation au travers de l’Assurance invalidité (AI). Par ailleurs, un collaborateur de l’AI vient une fois par mois rencontrer les jeunes pour élaborer un projet professionnel adapté à leurs besoins.»
Ces jeunes ont besoin de soutien et d’accompagnement pour retrouver leur chemin dans le monde.
Après la pause de midi, à 13h, place à la période autogérée. Les patientes et patients doivent décider comment occuper ce temps. Achille Donnet, l’éducateur en charge de la période, propose un jeu de cartes. Quatre jeunes acceptent d’y jouer. Une jeune fille souhaite lire et se plonge dans un roman. Trois jeunes annoncent préférer passer l’heure dehors, tandis que deux autres s’éclipsent dans le salon, avant de fermer la porte.
Un remède: l’amitié
Derrière, on entend des voix étouffées, des rires: les deux jeunes filles sont en train de discuter. On frappe à la porte, mais tout à leur conversation, elles préfèrent ne pas être dérangées. Assise avec les autres joueurs à la table de la salle principale, une jeune fille, qui vient de remporter une partie de cartes, se prend à sourire. Le rire ne semble pas loin, mais ne sort pas. En se promenant dehors, sous un doux soleil d’automne, on tombe sur deux des trois élèves qui ont préféré sortir. Deux jeunes filles, assises face à face en tailleur sur une dalle. L’une est plongée dans une conversation téléphonique qui semble l’irriter. Le visage fermé, rendu encore plus sombre par son maquillage, elle répond à peine alors que sa jambe s’agite avec nervosité. En face d’elle, son amie écoute attentivement, avec une empathie manifeste.
Car ces relations-là représentent un aspect crucial de leur passage au CTJA. Comme en témoigne Véronique Pin dans un sourire, «beaucoup d’amitiés se créent au centre, et perdurent.» Une façon de rappeler que, si cet hôpital de jour est «hors norme», les jeunes qui le fréquentent sont aussi comme tous les autres. Leur différence réside avant tout dans le soutien qui leur est nécessaire pour retrouver un chemin dans le monde.
Avant de partir, une feuille accrochée au mur de la salle de classe attire l’attention. Le poème d’une jeune fille, écrit dans le cadre d’un cours de français: «La petite fille joyeuse/ à la vie mouvementée/ Et ses frères et sœurs agités/ Mais elle restait chanceuse./ La petite fille peureuse/ Que les autres puissent la juger/ Que les autres puissent se moquer/ Mais elle était courageuse/ Courageuse.»
Postulo, un jeu pour imaginer son avenir professionnel
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Pour aller plus loin
- Plus d’informations sur le Centre thérapeutique de jour pour adolescents
- Pour commander Postulo
- Biographie d’Achille Donnet
- Un reportage au Repuis, un centre de formation pour des jeunes en situation de rupture socioprofessionnelle