Parcours de vie douloureux, ruptures psychologiques, cursus scolaires lacunaires ou presque inexistants: aujourd’hui, la structure traditionnelle de la formation professionnelle n’est pas à même d’accueillir de nombreux jeunes en situation de rupture. Quelle alternative leur proposer? Au modèle normatif de l’école publique, la Fondation Le Repuis offre un substitut sur les berges du lac de Neuchâtel, à Grandson. Entre théorie et pratique, ce lieu de vie propose des espaces de formation à 375 apprentis, et même un hébergement sur place pour celles et ceux qui en ont besoin. En 2015, cette volonté d’innovation a conduit la Fondation à publier Quanto, le jeu des tables de multiplication, aux Éditions Loisirs et Pédagogie – un exemple concret d’un processus d’apprentissage différent.
«Les élèves prennent place comme bon leur semble, travaillent à leur rythme, aidés par les enseignants qui se déplacent dans la salle.»
Une école hors norme
En arrivant en classe, on est surpris par l’aménagement des salles. Inspirés des concepts élaborés par des pédagogues tels que Freinet ou Montessori, les espaces sont complètement ouverts. «Quand je suis arrivé, les salles de classe étaient encore aménagées de façon traditionnelle, avec le bureau du maître devant les rangées de pupitres, témoigne Luc Lambert, directeur adjoint de la Fondation. À présent, l’espace est disposé autour des bureaux des enseignants, placés au centre. Les élèves prennent place comme bon leur semble, travaillent à leur rythme, aidés par les enseignants qui se déplacent dans la salle.»
Dans cet espace ouvert, les jeunes ont à disposition des pamirs pour s’isoler du bruit, des ordinateurs pour faire des recherches. Une disposition justifiée par le ratio de trois enseignants pour vingt-cinq élèves, qui permet un encadrement individualisé des jeunes. «Pour moi, le bilan est positif, témoigne Sarah, étudiante de 19 ans en filière de gestion en intendance. Au départ, c’était dur, mais j’ai maintenant un très bon rapport avec mes formatrices.» Comme 50% des jeunes qui fréquentent Le Repuis, elle passe la moitié de son temps sur le site pour suivre les cours, l’autre moitié en entreprise, où elle suit sa formation.
Même son de cloche du côté de Luan, un apprenti peintre en bâtiment de 19 ans, qui a entamé sa deuxième année au Repuis: «Le bilan est positif, même si je regrette d’être loin de chez moi, à Montreux.» La totalité de ces jeunes ont des parcours de vie fracassés. Selon Luc Lambert, il faut tordre le cou au concept de l’égalité des chances défendu par l’école publique. «Cela n’existe pas. Vous n’aurez pas la même approche à l’école si vos parents vous accueillent chaque après-midi dans un espace aménagé et avec une tartine pour faire vos devoirs, ou si vous devez vous occuper de vos frères et sœurs, travailler dans le restaurant de vos parents, ou si ces derniers ne sont tout simplement pas présents. C’est impossible, et c’est un mythe à dépasser.»
À jeunes hors norme, école hors norme: 80% des élèves fréquentant la Fondation Le Repuis n’ont jamais passé plus de deux ans consécutifs au même endroit. Pour répondre à leur cursus scolaire éclaté – voire inexistant, l’équipe de formateurs offre une prise en charge sur mesure, calquée sur le cursus traditionnel d’apprentissage. Entre théorie et pratique, les jeunes ont le choix entre dix-sept filières différentes – parmi lesquelles la cuisine, la maçonnerie ou le paysagisme – en entreprise ou en atelier, dont la quasi-totalité est disposée sur le site. «Chacun a besoin d’un enseignement sur mesure, adapté à ses besoins, note David Tolivia, responsable de l’enseignement. Par exemple, pour des élèves qui viennent de traverser une grande crise, le tout est de leur redonner confiance en l’école, en l’institution. Dans ce cas, noter les arrivées tardives n’a aucun sens: l’essentiel est qu’ils viennent aux cours.»
«Les règles de l’école publique sont artificielles. La force d’un jeu, c’est que ses règles sont partagées.»
Le jeu, une valeur partagée: l’exemple de Quanto
En 2015, cette volonté d’offrir un modèle d’enseignement différent a mené à la conception de Quanto. Le principe est simple: apprendre ses tables de multiplication par le jeu, à travers plusieurs variantes: la bataille diabolique, le calcul à l’envers, ou encore la chasse aux nombres. Des jeunes de la Fondation avaient conçu le concept et les règles du jeu avant de soumettre l’idée aux Éditions Loisirs et Pédagogie, qui avaient publié le jeu en ajoutant un élément: la carte «magique» rouge, permettant de dévoiler le résultat du calcul au verso. Lors du cours de mathématiques, le jeu est introduit comme révision aux livrets. Les élèves s’échauffent et dégainent les cartes de plus en plus vite.
Deux jeunes arrivent en retard. «Heureux de vous voir, dit l’enseignant. Prenez place!» Rapidement, ils prennent le cours en vol, se prennent au jeu. Au fil des parties, le rythme s’accélère et les réponses fusent rapidement. 9 x 6? 54! 2 x 5? 10! 8 x 7? Un petit doute. «Regarde avec la carte rouge si tu as un doute.» 56. Au fil des parties, l’enseignant encourage les élèves à élaborer de nouvelles règles – il s’agit maintenant de prendre le moins de cartes possible. Calqué sur la «ludification» – soit un apprentissage fondé sur le jeu –, ce type de cours repose davantage sur une base pratique que théorique. Une approche que David Tolivia résume en ces termes: «La plupart de ces jeunes ne se retrouvent pas dans le schéma de l’école traditionnelle, car ses règles sont artificielles. La force d’un jeu, c’est que ses règles sont partagées.»
Au total, les élèves de la Fondation Le Repuis suivent des cours de maths, de français et de méthodologie. Cette dernière discipline, enseignée par Jean-Marc Berger, tend à développer des stratégies d’apprentissages à travers l’usage de robots ou de Lego. Autrement dit, cet enseignement emprunte au procédé concret du savoir qui se construit, à la manière d’un puzzle ou d’un jeu d’échecs. «Il s’agit toujours d’entraîner leurs compétences de planification et d’anticipation. À l’aide d’exercices stratégiques, comme des points de repère en trois dimensions, le but est d’amener chaque élève à développer des solutions pour résoudre le problème.» Plus qu’un travail d’enseignant, il s’agit davantage d’une activité de médiation, qui permet aux élèves d’élaborer eux-mêmes leurs propres stratégies.
«Les jeunes ne représentent pas les failles de l’école – c’est le système lui-même qui est défaillant.»
Le concept de cette école «hors norme», Luc Lambert le résume en une phrase: «Ce ne sont plus des classes, mais des espaces de travail. Il faut sortir du fantasme de sectorisation de l’école publique, où on enferme les élèves dans des groupes arbitraires qui ne conviennent pas à beaucoup d’entre eux.» À son sens, il est impératif de repenser le modèle de l’école traditionnelle, où les enfants sont orientés selon des groupes subjectifs – comme l’âge – qui ne correspondent pas à leurs besoins et à leur potentiel. «Ce modèle ne fonctionne pas, et particulièrement pas pour ces jeunes qui n’ont pas à prendre sur eux les erreurs d’une école élitiste. Ils n’en représentent pas les failles – c’est le système lui-même qui est défaillant.»
Quanto, le jeu des tables de multiplicationQui a dit qu’apprendre ses tables de multiplication était ennuyeux ? Élaboré par la Fondation Le Repuis, Quanto est un jeu de bataille pour 1 à 10 joueurs, doté de cartes «magiques» rouges pour dévoiler le résultat des calculs au verso. À utiliser en famille, à l’école ou dans tout autre contexte, il permet d’apprendre et de réviser les tables de multiplication à travers une approche ludique et innovante. |
Pour aller plus loin
- La Fondation Le Repuis
- Le jeu de multiplication Quanto