Spécialistes et études le disent: nos ados vont mal, la crise climatique, notamment, préoccupant une génération déjà éprouvée par la pandémie. Mais quel est le regard de ces jeunes sur le monde? Après Défis de familles, coécrit avec le pédiatre Nahum Frenck, Jon Schmidt apporte des éléments de réponse dans Adolescence en quête de sens: 12 histoires de thérapie – autant de récits qu’il a vécus, et qu’il nous raconte.
Ces jeunes m’impressionnent par leur volonté de retrouver un sens, une boussole.
Le thérapeute insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas d’un livre d’expertise, mais d’un regard sur des thèmes actuels, qui vont de la transidentité à la délinquance, en passant par l’éco-anxiété, la place de l’écran ou l’anorexie. En tant que thérapeute, Jon Schmidt parle avec bienveillance et sans détour de cet âge des remises en question, mais aussi des possibles.
En 2019, vous avez consacré un livre aux familles avec votre ami et mentor Nahum Frenck. Pourquoi traiter, en 2023, du thème de l’adolescence?
Jon Schmidt: Il s’agit d’un concours de circonstances. Quand Défis de familles est paru, je venais de m’installer avec trois collègues dans un cabinet au centre de Lausanne. Depuis le début, un grand nombre d’ados viennent nous consulter de leur propre initiative, en accord avec leurs parents. Encore aujourd’hui, ces jeunes m’impressionnent par leur maturité, leur volonté de retrouver un sens, une boussole. Par ailleurs, il était frappant de les entendre exprimer, avec une perception très aiguë, leur préoccupation pour les problématiques de notre temps, qu’il s’agisse de la pandémie, du climat, de l’écologie… Ce n’était pas une coïncidence. En tout cas, c’est quelque chose qu’il me tenait à cœur de «documenter» dans un livre.
L’ado est l’élément «révolutionnaire», celui ou celle qui déséquilibre l’entier du système familial.
Un récent sondage réalisé par la Maison bernoise des générations et l’institut Sotomo fait état du pessimisme des jeunes et du fossé entre les générations en Suisse. Dans la tranche d’âge des moins de 30 ans, seulement 1 personne sur 5 se dit satisfaite de sa vie. Ressentez-vous aussi ce blues des ados en consultation?
Oui, malheureusement. Chez les ados qui viennent consulter, il y a une tristesse et une perte de repères très fortes. C’est normal, à cet âge. Toutefois, du fait des enjeux actuels, j’ai l’impression que ce sentiment de désorientation est décuplé. C’est une situation paradoxale. Entre de sombres perspectives d’avenir et des outils technologiques toujours plus poussés, la société semble leur offrir tout et rien en même temps. «Quel est le sens de la vie?» est la question que l’on se pose souvent à l’adolescence. Mais il est extrêmement dur d’y répondre quand la crise climatique, par exemple, semble remettre en cause leur intégrité physique, vitale, ainsi que celle de leurs proches. À cela s’ajoutent d’autres questionnements difficiles, comme la place de l’homme et de la femme dans la société, ou la transidentité. Autant de facteurs qui renforcent cette déprime.
Pourtant, ces adolescentes et adolescents viennent consulter, ce qui montre aussi une volonté constructive…
Absolument. Il y a certes une déprime, mais pas de désespoir, et aucune apathie. C’est pourquoi ces jeunes viennent en cabinet. Pendant mon adolescence, on nous répétait souvent: «Vous, les jeunes, vous vous en foutez de tout.» Ce n’est pas leur cas. Les ados qui viennent en cabinet sont déjà adultes dans leur tête, se posent la question des limites, mais aussi de leurs responsabilités. Cela démontre une sensibilité propre à cette génération – dans le sens positif et négatif –, mais aussi sa force.
Par ailleurs, ces jeunes nous apportent aussi beaucoup. En thérapie systémique, on considère que l’ado est l’élément «révolutionnaire», celui ou celle qui déséquilibre l’entier du système familial. C’est lorsqu’on traverse cette phase, entre enfance et âge adulte, que sont déstabilisés tous les rôles de la famille, du père à la mère, en passant par l’éventuelle fratrie. Chacune et chacun doit se redéfinir par rapport aux autres, dans une crise qui peut être négative comme positive.
A contrario, on pourrait argumenter que les générations précédentes ont aussi fait face à des difficultés et à cette perte de sens. En quoi celle-ci est-elle différente?
Il y a bien sûr les crises écologique, climatique, économique et sanitaire. Mais pas seulement. Je constate aussi une remise en question globale des «modèles» de vie à disposition. Globalement, c’est comme si les bornes lumineuses, qui nous servent de repères pour rouler dans la nuit, avaient été enlevées. Il y a plusieurs raisons à cela, notamment les réalités familiales déjà très différentes, avec des familles monoparentales, divorcées et/ou recomposées. Cela a aussi un impact sur les jeunes. Par exemple, l’idéal familial de l’homme et de la femme, avec deux enfants, deux boulots, une voiture, une maison, un chien ou un chat et un séjour à l’étranger par année, n’est plus désirable pour tout le monde. Mais par quoi peut-on le remplacer? La multiplicité des possibles ajoute à la confusion.
Par ailleurs, une autre question qui les anime est leur avenir professionnel. Avec les technologies, qui évoluent très vite, quelle voie conseiller à son enfant? Pour les jeunes, quel métier choisir? Aujourd’hui, les métiers de l’artisanat reviennent, ce qui n’était pas forcément une prédiction intuitive il y a dix ans. Par ailleurs, quand vous voyez une amie réussir comme influenceuse et engranger quelques milliers de francs de revenu par mois – comme dans l’histoire de Thaïs, que je raconte dans le livre –, il peut sembler absurde de continuer dans la voie d’un apprentissage ou d’une formation.
Quels conseils donneriez-vous aux parents, aux proches, qui souhaiteraient aider leur ado? Faut-il les accompagner et les écouter, ou les laisser tranquilles?
Un peu des deux. Dans le livre, j’évoque l’image du hérisson. Si vous le prenez de manière trop frontale, vous allez vous faire piquer. En revanche, si vous le prenez par-dessous, avec des gants, tout se passera bien. Avec les jeunes, c’est la même chose. Il faut soutenir d’en bas plutôt que d’en haut, montrer, en somme, qu’on est là sans imposer. Être dans la présence plutôt que dans le contrôle et, surtout, dans l’informel. Oublier cette idée de l’asseoir autour d’une table, en lui assénant: «Il faut qu’on parle.» Vous aurez plus de chance d’avoir un échange porteur de sens dans la voiture en rentrant de l’école. Ou en lui proposant un environnement mis à disposition, délimité. Un parent et l’enfant, une heure autour d’un café, une fois par semaine. On échange pendant cette fenêtre de dialogue, et le reste du temps, on se fout la paix!
Dans Adolescence en quête de sens, vous retracez les parcours, souvent touchants, parfois dramatiques, de 12 jeunes rencontrés en thérapie. Lequel vous a le plus marqué?
Tous, d’une manière ou d’une autre, m’ont touché. Sinon, je n’aurais pas choisi de les raconter. Toutefois, si je devais n’en garder qu’un, ce serait celui qui m’a le plus aidé. Ce n’est pas très «psy» de dire ça, car les thérapeutes se mettent au service de nos patientes et patients. Dans cette perspective de soutien, nous ne sommes donc pas dans une relation horizontale. Pourtant, certaines personnes nous aident parfois en retour, car elles nous font réfléchir sur nous-mêmes. C’est le cas de Baptiste, un jeune homme originaire du Vietnam qui a vécu dès l’âge de 2 ans en Suisse, dans un déchirement que connaissent beaucoup de personnes adoptées. Dans cette thérapie, on s’est partagé beaucoup de choses, dans un lien de confiance. Chacun en a tiré quelque chose dans son rapport au monde. De lui, je garde toujours cette image: celle du tigre qu’il avait tatoué sur son bras, qui exprime à la fois sa force et sa résilience.
Pour aller plus loin
- Adolescence en quête de sens: 12 récits de thérapie de Jon Schmidt
- Défis de familles: 16 histoires de thérapie systémique de Nahum Frenck et Jon Schmidt
- Site personnel de Jon Schmidt, psychologue FSP, thérapeute de couples et familles