Elles travaillent dans les coulisses de toute maison d’édition: les relectrices-typographes passent au peigne fin les livres pour que ne subsiste aucune faute de grammaire, de sens ou de syntaxe. Anne Leroy a travaillé aux Éditions Loisirs et Pédagogie pendant plus de quinze ans. Derrière beaucoup de nos livres se cache son travail invisible et inestimable. Elle revient pour nous sur sa carrière et sa passion du (bon) mot.
Parlez-nous un peu de vous. D’où vous est venu cet amour pour les mots?
Anne Leroy: Il remonte à très longtemps! Au collège, j’ai choisi le latin pour le plaisir. J’étais passionnée par la filiation des mots, par leur origine et par leur étymologie. Et puis, il ne s’agit pas uniquement de connaître leur histoire, mais aussi de savoir comment les placer. Combien de fois entend-on les gens utiliser un mot de manière erronée!
Le défi est surtout de respecter le style de l’auteur, sa «patte», et d’être une «éponge» tout en apportant un regard neuf et pertinent.
Contrairement aux métiers d’auteur et d’éditeur, vous faites partie de celles et ceux qui œuvrent dans l’ombre et dont le travail est peu connu. Comment avez-vous géré cet aspect de votre activité?
J’ai toujours réussi à faire abstraction de la chose, même si cela n’a jamais été un sacrifice. Le défi est surtout de respecter le style de l’auteur, sa «patte», et d’être une «éponge» tout en apportant un regard neuf et pertinent. Entre l’auteur, l’éditeur et le relecteur, le travail est complémentaire: le premier écrit, le second s’occupe des aspects techniques, comme la maquette, et le relecteur apporte une distance qui fait parfois défaut à l’auteur, attaché à son texte pour des raisons émotionnelles évidentes. À mes yeux, il s’agit d’une véritable collaboration. Tout ce qui est écrit doit faire passer un message: le plus important, c’est que ce dernier passe.
Notre travail ne doit jamais se voir, c’est bien ça la clé!
Au prix que votre travail ne se voie pas?
Notre travail ne doit jamais se voir, c’est bien ça la clé (rires)! Mais cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’est pas important, c’est même tout le contraire. Quand un livre est publié, je sais que mon travail est là, dans le produit final, et cette trace est extrêmement gratifiante. Un de mes anciens élèves, un ferblantier-couvreur venu apprendre le français en Suisse romande, me disait souvent qu’il avait énormément de plaisir à revoir les endroits où il avait couvert des toits, car il pouvait dire: «Tu vois ce toit? À part moi, personne n’est au courant, mais c’est moi qui l’ai fait.» Il en va de même pour mon métier.
Quand vous commencez un travail, comment abordez-vous un texte?
Tout l’art de la relecture consiste à s’imprégner du style de l’auteur et du sujet qu’il traite, à relever les éventuels tics de langage, à comprendre le cheminement intellectuel et la réflexion du géniteur. Il faut se laisser envelopper au fil des pages. De plus, l’aspect sémantique prend énormément de temps, de même que la vérification de certains mots, noms propres, faits et dates. Pour moi, un correcteur met un point d’honneur à ne pas laisser de fautes après son passage, mais ne met pas son amour-propre dans le texte qu’il corrige. En tout, un projet peut souvent prendre plusieurs mois. L’arrivée d’internet, avec les dictionnaires en ligne et sa masse incroyable de données, a grandement amélioré le quotidien des relecteurs. Je me souviens avoir passé des jours à la bibliothèque de Rumine, à Lausanne, pour trouver les informations qui me manquaient!
Après plus de quarante ans de carrière, quels sont vos projets pour la retraite?
La passion des mots me taraude toujours. À travers Leroylire, ma propre entreprise, je continue à faire des relectures très ponctuellement pour les Éditions Loisirs et Pédagogie. Depuis les années 2000, je suis également très impliquée dans *l’îlot*, l’association qui soutient les proches qui accompagnent une personne souffrant de troubles psychiques dans le canton de Vaud. Sur le sujet, je donne également des cours comme vacataire à l’École d’études sociales et pédagogiques et à l’École de la Source. Bref, je n’ai pas de quoi m’ennuyer! Cela dit, avec mon métier, je ne me suis jamais ennuyée.