Forte de trente ans de carrière, Catherine Louis a collaboré avec les Éditions Loisirs et Pédagogie à de nombreuses reprises, notamment sur la série des livres-CD Amuse-Bouches et la collection Comprendre la différence. En 2018, elle a illustré Les yeux de Bianca, un livre sur une fillette non-voyante. Et ce n’est pas tout: elle a apposé sa patte à une centaine de livres publiés chez divers éditeurs, reçu le Prix sorcières 2006 du Salon de livre de Paris et figuré à la sélection de la Biennale internationale 2005 de Bratislava. Elle revient pour nous sur une carrière placée sous le signe de l’imaginaire.
À 8 ans, je passais déjà tout mon temps à faire des collages!
Devenir illustratrice, cela a toujours été une évidence?
Catherine Louis: Peut-être pas une évidence, mais c’est vrai que j’ai toujours adoré dessiner. Quand j’étais petite, j’habitais dans une maison très isolée, perdue dans les vignes de La Neuveville, où mon père était vigneron. La fille de nos uniques voisins avait dix ans de plus que moi. Elle était illustratrice et gardait une table pour moi dans son atelier. J’ai beaucoup appris en la regardant: à 8 ans, je passais déjà tout mon temps à faire des collages!
Comment devient-on illustratrice?
Avec beaucoup de travail et un peu de chance. À la fin de ma scolarité, j’ai fait l’École des arts visuels de Bienne. Un de mes professeurs, Jörg Müller, m’a vivement encouragé à quitter la Suisse. Sans savoir où placer la ville sur une carte, j’ai opté pour l’École des arts décoratifs de Strasbourg et n’ai jamais regretté mon choix. À l’époque, c’était un lieu qui débordait de créativité, malgré le manque de tables et de matériel (rires). En parallèle, j’allais chaque année à la Foire des livres jeunesse de Bologne afin de proposer mes services. La troisième année, on m’a donné ma chance avec Les petites lettres ont pris la fuite, mon premier vrai projet.
Aujourd’hui, la durée de vie d’un livre est plus courte, c’est à peine si on compte trois mois en librairie.
En tant qu’indépendante travaillant dans le domaine artistique, avez-vous rencontré des difficultés pour en vivre?
Bien sûr. D’ailleurs, je n’ai jamais vraiment pu en vivre. J’ai toujours complété avec des cours de dessin que je donne à domicile et avec l’aide de mon mari. Mes rentrées d’argent sont donc irrégulières, et cette anxiété liée aux finances m’empêche parfois de créer. De plus, j’estime passer 60% de mon temps à faire du travail administratif ou de la prospection pour éviter de me retrouver dans un creux. Les illustrateurs sont très dépendants de l’état de santé des maisons d’édition pour lesquelles ils travaillent. Et le rapport de la société aux livres a considérablement changé: aujourd’hui, la durée de vie d’un livre est plus courte, c’est à peine si on compte trois mois en librairie.
Comment abordez-vous un projet?
Je jongle toujours entre plusieurs projets à la fois, parfois jusqu’à huit. À chaque nouveau travail, c’est une nouvelle aventure qui commence. Et le procédé de maturation est différent pour chacun: la majorité aboutit après seulement quelques maquettes, en un an, alors que certains en prennent six. Le texte vient presque toujours en premier. Puis, j’essaie de me projeter dans le monde que je souhaite représenter, tout en cherchant la meilleure technique adaptée au sujet.
Le texte vient presque toujours en premier. Puis, j’essaie de me projeter dans le monde que je souhaite représenter.
La technique pour donner corps aux mots?
Exactement. Cela a été particulièrement important pour Les yeux de Bianca, le dernier projet sur lequel j’ai collaboré avec les Éditions Loisirs et Pédagogie. Puisqu’il s’agit d’un livre pour comprendre les enfants malvoyants, j’ai rencontré une dame atteinte de cécité pour tenter de répondre à la question: comment voient-ils leur corps, alors qu’ils ne peuvent pas nous voir, ni se voir eux-mêmes? Comment imaginent-ils une couleur qu’ils n’ont jamais vue? Ce sont des questionnements passionnants, surtout pour une illustratrice! D’où l’idée d’opter pour des couleurs fantaisistes, de représenter des formes et des animaux imaginaires et d’intégrer l’alphabet en braille aux côtés des dessins.
Avez-vous une méthode pour vous mettre en «état créatif»?
Non, pas vraiment. Parfois, je crée en musique, parfois en silence. Et le yoga m’aide à être moins impatiente quant à ma recherche de la «bonne» technique. Le plus important, c’est d’être au service de ce que j’ai envie de faire. À cet effet, j’ai plusieurs tables: une pour l’administratif, une pour la création, sans ordinateur, afin d’avoir le cerveau tranquille. Mais comme vous le savez, ce n’est pas toujours facile de résister à l’appel de la technologie! Pourtant, il faut du calme pour créer. J’ai effectué beaucoup de projets avec une dimension sociale, des livres destinés aux sourds, aux malvoyants… C’est seulement en s’immergeant complètement qu’on arrive à représenter un univers qui leur ressemble.
Comprendre la différenceCe livre s’inscrit dans la collection Comprendre la différence, née d’une volonté d’offrir aux enfants des clés pour mieux comprendre et approcher la différence. Avec, toujours, un fil rouge au cœur des ouvrages: mener à une meilleure compréhension de l’altérité. Marie Sellier et Catherine Louis ont signé deux autres albums: Les yeux de Bianca sur la malvoyance et Roule, Sasha! sur le handicap physique. Pour leur part, l’autrice Mary Wenker et l’illustratrice Amélie Buri ont abordé le thème de l’identité de genre avec Camille aux papillons et de la migration avec Hasan venu d’ailleurs. Chaque titre est doté d’un dossier pédagogique, accessible gratuitement en ligne. |
Pour aller plus loin
- Plus d’informations sur Catherine Louis
- Plus d’informations sur la collection Comprendre la différence
- Plus d’informations sur Amuse-Bouches
- «Catherine Louis déballe 30 ans de carnets»: une vidéo de Canal alpha sur l’exposition de Catherine Louis à la Bibliothèque de la Chaux-de-Fonds (à voir jusqu’au 29 mars 2018)