Pour reprendre une citation de son dernier spectacle: it’s magic! Et pour cause, on est bien tenté de qualifier le parcours de Vincent Kucholl en ces termes. Avec son comparse Vincent Veillon, on les connaît comme les «deux Vincent», humoristes des émissions 120 secondes et 26 minutes, auteurs et comédiens de nombreux spectacles. Dernier en date, «Le Fric», qui affiche déjà presque complet pour l’entier de la tournée. Mais, avant de se glisser dans la peau de Gilles Surchat ou de Julien Bovey, Vincent Kucholl avait une autre vie au sein des Éditions Loisirs et Pédagogie. Il est l’auteur du best-seller Institutions politiques suisses, qui s’est vendu à plus de 260’000 exemplaires, et a dirigé la collection «Comprendre la Suisse», récompensée par le Prix de démocratie de la Nouvelle Société Helvétique 2013. Retour sur l’autre success story d’un surdoué.
Vincent Kucholl, comment en vient-on à écrire le best-seller d’une maison d’édition?
Vincent Kucholl: En y entrant comme magasinier! À l’origine, il s’agissait d’un boulot d’étudiant. En 2002, j’avais fini mes études de sciences politiques et je suivais des cours à l’École de théâtre Serge Martin à Genève. Au milieu des 250 palettes du stock, je préparais les colis et chargeais chaque année 1000 à 2000 exemplaires d’un titre appelé Institutions politiques suisses. Le bouquin était vieillot et ne tenait pas compte de la nouvelle Constitution fédérale de 1999. J’en ai touché un mot au mari de ma sœur Nathalie, Philippe Bürdel, le fondateur des Éditions Loisirs et Pédagogie, décédé aujourd’hui. Il m’a donné carte blanche pour le mettre à jour.
Le succès a été immédiat: en quatre mois, on avait vendu 16’000 exemplaires.
Comment as-tu abordé ce travail?
J’ai retravaillé l’entier du manuscrit, contacté le dessinateur Mix & Remix, qui a accepté de l’illustrer avec son incroyable trait. C’était très stimulant, car j’ai pu gérer le travail du début à la fin, de la rédaction à la promotion auprès de la presse et des communes. Après des mois de travail, le livre est sorti en août 2005. Un défi et un pari réussi, puisque le succès a été immédiat: en quatre mois, on avait vendu 16’000 exemplaires, ce qui est énorme à l’échelle romande.
On lit le nom «Vincent Golay» sur la couverture et non celui de «Vincent Kucholl». Pourquoi ce pseudonyme?
Il s’agit du nom de famille de ma mère. À l’époque, j’étais fraîchement diplômé en «sciences po» de l’Université de Lausanne. Avec ce statut, je ne me sentais pas légitimé à vulgariser la matière, particulièrement par rapport à mes anciens professeurs. D’où le pseudonyme.
Un succès tel qu’il a mené à la création de la collection «Comprendre la Suisse»…
Exactement. Un ami journaliste, Cyril Jost, a suggéré qu’on écrive à deux mains Économie suisse. Depuis, il est devenu responsable éditorial au sein de la maison d’édition. Dans la foulée, nous avons publié Histoire suisse, de Grégoire Nappey, Droit suisse, de Cesla Amarelle, pour arriver aux titres Institutions politiques vaudoises et Institutions politiques genevoises respectivement de Jérôme Cachin et de Mario Togni. Une aventure sur dix ans, avec un travail de mise à jour qui continue aujourd’hui.
L’humour doit problématiser une réalité.
Des Éditions LEP à 120 secondes, il n’y a qu’un pas?
En fait, cela s’est fait petit à petit. En 2006, j’ai commencé à travailler à la radio sur Couleur 3 et, dans la foulée, je suis passé des stocks aux bureaux des Éditions LEP. Puis, j’ai exercé les deux activités en parallèle: les chroniques de 120 secondes d’un côté, mon travail éditorial de l’autre. Quand Vincent Veillon et moi avons commencé 26 minutes en 2015, je n’avais plus assez de temps à consacrer à mon activité éditoriale. Et avec le décès de Mix & Remix, en 2016, même si nous continuons à faire des mises à jour des titres, nous gardons la collection en l’état. Personne ne pourra le remplacer.
Auteur, éditeur, humoriste, acteur, tu sais tout faire!
Non, mais je sais aussi faire le risotto! En tout cas, l’humour n’était pas un plan de carrière. En 6e ou 7e primaire, je regardais La Télé des inconnus, et je me disais: «Ça, comme job, se déguiser et faire rire les gens, ça doit être le rêve!» Mais je n’y croyais pas vraiment. Pourtant, aujourd’hui, je conseillerais le même parcours à un jeune qui souhaiterait faire carrière dans l’humour. Mes études en sciences politiques et mon activité aux éditions étaient un excellent moyen d’élargir mes connaissances et d’enrichir le contenu de mes performances. A posteriori, toutes ces activités se sont parfaitement complétées.
Dans nos spectacles, Vincent et moi traitons d’une matière parfois chiante, mais en rigolant.
Faire rire et amener à faire comprendre, même combat?
Tout à fait. C’est ce que Mix & Remix savait si bien faire. Les ouvrages de la collection permettent de mieux comprendre la Suisse: pour le spectacle 120 secondes présente la Suisse, Vincent Veillon et moi avons puisé dans le contenu des livres, avec des sections thématiques. Et j’ai emprunté énormément de matière à Économie suisse pour notre nouveau spectacle «Le Fric», notamment sur le capitalisme, la Bourse ou le fonctionnement du marché. Dans nos spectacles, nous traitons d’une matière parfois chiante, mais en rigolant. En s’y intéressant. Je ne suis pas un grand amateur des spectacles de type stand-up, dépourvus de sociologie. À mon sens, l’humour doit problématiser une réalité. C’est un excellent moyen de questionner le monde qui nous entoure.
Justement, la Suisse est un thème central de ton travail d’humoriste. Quel est ton rapport à ce pays?
C’est une question difficile. J’y suis attaché, mais sans amour aveugle. La Suisse, pour moi, c’est une Willensnation: une nation de volonté, un contrat. Elle existe parce que nous y croyons, mais il s’agit d’une réalité construite, qui ne va pas de soi. Je ne me sens pas plus Suisse que Vaudois ou Lausannois. Bien sûr, j’ai conscience de ses qualités: ses institutions politiques et son histoire méritent d’être connues. Mais je ne me sens pas du tout patriote, car le patriotisme essentialise cette construction. À mon sens, avoir du recul sur le sujet empêche tout réflexe de nationalisme, car on se rend compte que notre relation au pays n’est pas forcément naturelle.
Quels sont tes projets après «Le Fric»? Comptes-tu revenir à l’édition?
Vincent et moi continuons la tournée du spectacle jusqu’en janvier 2019 et revenons à la télé avec une nouvelle émission à la rentrée. Pour la suite, on verra bien: qui sait? La roue tourne sans cesse. Tout ce que je peux dire, c’est qu’à 30 ans, j’arrivais à me projeter sur un an. Aujourd’hui, c’est sur deux ans, il y a donc un peu de progrès!