Qu’est-ce qui rassemble Ada Marra, Marianne Maret et Céline Amaudruz? À première vue, pas grand-chose: ni les couleurs politiques, ni l’âge, ni la classe sociale dans laquelle elles ont grandi, ni le canton où elles ont fait leur carrière politique. Pourtant, à lire le livre Engagées! 21 portraits inspirants de femmes politiques suisses, un point commun se dessine: leurs parcours présentent tous des aspects admirables et des similarités dans les difficultés rencontrées pour exercer un rôle d’influence. Éclairage avec Linda Bourget, coautrice de cet ouvrage et présentatrice de l’émission À bon entendeur, qui signe les portraits des politiciennes romandes.
L’intime et le politique concernent tous les parcours, transcendent les bords politiques.
Pourquoi avoir écrit ce livre?
Linda Bourget: À l’origine, l’idée était celle de ma consœur Nathalie Christen, qui a présenté par ailleurs l’émission télévisée de débat Arena. Au cœur de sa pratique, elle a constaté à quel point il est difficile d’inviter des femmes, même politiques. Toutefois, c’est surtout dans le cadre de la Grève des femmes de 2019 que l’impulsion pour ce livre est née. Avec Simona Cereghetti, nous étions toutes les trois correspondantes au Palais fédéral et nous sentions que quelque chose d’important était en train de se passer. Les femmes en politique étaient non seulement visibles, mais aussi fortes. D’où la volonté d’empoigner ce débat de société, de donner cette inspiration pour les lectrices et lecteurs – sans pour autant les présenter comme des wonderwomen.
Dans les portraits, vous donnez une importance égale à leur vie politique et personnelle. En soulignant cette sphère intime, n’y a-t-il pas un risque de les présenter de manière genrée et, justement, non féministe?
En effet, nous avons délibérément choisi un angle très humain. À notre sens, l’engagement politique des 21 femmes que nous présentons dans le livre ne pouvait pas être dissocié de leur vie personnelle. D’ailleurs, je suis convaincue qu’il en va de même pour les hommes, et l’exercice serait très intéressant à répéter avec eux. Toutefois, si la théorie voudrait un traitement indifférencié entre les femmes et les hommes, dans la vraie vie, la différence est là. On ne peut pas en faire abstraction, car des problématiques «féminines» influencent leur engagement politique. Nous avons donc délibérément embrassé cet aspect-là, en parlant ouvertement de leur souhait – ou pas – de fonder une famille, ou du harcèlement sexuel et moral auquel elles font face.
L’intime est politique, disent de nombreuses féministes, mais à vous entendre, le politique est aussi intime…
Exactement. Et cela concerne tous les parcours, cela transcende les bords politiques. Toutes les femmes présentées dans le livre doivent faire cohabiter ces deux aspects, qui se nourrissent l’un l’autre. Quand Nathalie Fontanet, du PLR, passe ses études en droit après quinze années à travailler comme mère au foyer, tout en continuant à s’occuper de ses trois filles, c’est intime et politique. Même chose pour Corina Gredig, des Vert’libéraux, qui, même en étant une enfant prodige de la politique, a dû s’affranchir des commentaires de celles et ceux qui la réduisaient à son apparence physique. Et c’est inspirant. À mon sens, Marina Carobbio, médecin et membre du PS, résume cette lutte parfaitement quand elle affirme: «Les femmes ne doivent pas avoir honte de vouloir le pouvoir.»
La politique est profondément non monolithique.
En alternant des femmes aux profils très différents, votre livre fait aussi émerger des points de convergence parfois surprenants, comme les quotas en entreprise. Était-ce important d’avoir un angle résolument non partisan?
Oui, mais ce n’était pas du tout une contrainte – au contraire! En tant que journalistes, notre mission est de nourrir le débat. En ce sens, la diversité des profils présentés dans le livre – de tout âge, parti, région linguistique – enrichit la discussion. Quant aux quotas, en effet, si on a en tête que ce sont souvent les femmes de gauche qui y sont favorables, c’est aussi le cas de Nathalie Fontanet, qui affirme que «les femmes compétentes sont là, il suffit d’aller les chercher». À l’inverse, sa collègue de parti, Petra Gössi, est fermement opposée aux quotas, mais n’en défend pas moins avec conviction la place des femmes. Dans tous les cas, ces convictions divergentes montrent que la gauche n’a pas le monopole sur les questions «de genre». Ici, dans le cas de la représentation des femmes à la tête des entreprises, les chemins diffèrent selon le camp politique, mais l’objectif reste le même.
Y a-t-il un lien entre un parcours de femme journaliste et de femme politique?
Oui, bien sûr, comme dans tous les métiers, tous les secteurs. Nous sommes toutes confrontées aux mêmes écueils, à tous les échelons: prendre sa place, avoir de l’aplomb et ne pas être cantonnée aux tâches subalternes. Et bien sûr, pour celles qui ont une famille, on retrouve la grande difficulté de concilier vie personnelle et professionnelle, de revendiquer le fait de s’occuper de ses enfants tout en menant une carrière politique, professionnelle ou un engagement associatif. À ce sujet, on peut penser à la Verte Manuela Weichelt, dont le compagnon amenait son bébé en séance pour qu’elle puisse l’allaiter, comme à l’UDC Andrea Geissbühler, qui tirait son lait dans les toilettes du Palais fédéral entre les sessions parlementaires.
Il faut aussi souligner le harcèlement sexuel et moral que subissent de nombreuses femmes, en politique comme ailleurs. Selon la socialiste Ada Marra, qui a subi des insultes extrêmement violentes sur les réseaux sociaux. Soit on est critiquée parce qu’on est trop jolie, soit on est cataloguée comme «un sac» parce qu’on ne se soigne pas assez. À ce sujet, la Tessinoise Greta Gysin – qui a d’ailleurs reçu des sex-toys dans sa boîte aux lettres – rappelle les commentaires sur «les cheveux d’Eveline Widmer-Schlumpf, alors que c’est l’une des meilleures membres du Conseil fédéral qu’on a eues ces dernières décennies». Ces difficultés, elles sont typiquement «féminines», dans le sens que les hommes ne doivent pas ou peu y faire face.
De votre point de vue, quelle est la situation des femmes en politique en 2022, trois ans après la Grève des femmes?
Aujourd’hui, les femmes représentent 42% des sièges du national, 28% des sièges aux États. Ce n’est pas rien, même si ce n’est pas encore assez. Sur le fond, la question des femmes demeure très centrale. Qui les défend? Comment les représenter? Comme on l’a vu depuis la Grève des femmes, les prochains grands débats sur la question concernent et concerneront principalement la réforme de l’AVS et, bien sûr, la réforme du 2e pilier. Sur ces sujets, la gauche et la droite sont divisées. Cela promet des discussions passionnantes. Cela montre, aussi, qu’au-delà des représentations parfois caricaturales qu’on lui prête, la défense de la cause des femmes est profondément non monolithique. Et c’est aussi ce que nous avons souhaité montrer dans ce livre.
Des rencontres aux quatre coins de la Suisse romande
Genève, vendredi 20 mai 2022 – 12h
Vernissage et table ronde entre les journalistes Linda Bourget, Nathalie Christen et Simona Cereghetti dans le cadre du Salon du livre de Genève.
Lieu central de la Treille, La Cave, Rampe de la Treille
Lausanne, mercredi 1er juin 2022 – 17h30
Table ronde entre la conseillère nationale Ada Marra et Linda Bourget chez Payot librairie.
Place Pépinet 4
Martigny, jeudi 2 juin 2022 – 18h
Table ronde entre la conseillère aux États Marianne Maret et Linda Bourget à la librairie du Baobab.
Avenue de la Gare 42
Fribourg, jeudi 30 juin 2022 – 17h
Table ronde entre la conseillère aux États Johanna Gapany et Linda Bourget chez Payot librairie.
Rue de Romont 21
Pour aller plus loin
- Découvrir le livre Engagées! 21 portraits inspirants de femmes politiques suisses
- Les biographies de Linda Bourget, Nathalie Christen et Simona Cereghetti