Encore aujourd’hui, de nombreuses personnes pensent que l’homme est le seul animal qui ne soit pas… un animal. Et Homo sapiens se situerait dans un rapport hiérarchique avec les animaux. Une telle perception est particulièrement marquée dans les cultures abrahamiques influencées par le récit de la Genèse: au 3e jour Dieu aurait créé la flore, au 5e la faune et au 6e l’homme. Il précise aussi que ce dernier domine toutes les bêtes sauvages et toutes les bestioles qui rampent sur la terre. Une telle dichotomie entre l’homme et l’animal est bien moins marquée dans d’autres cultures, que ce soit chez les animistes, les anciens égyptiens, les hindouistes, les bouddhistes ou les shintoïstes.
98% de nos gènes sont identiques à ceux de nos plus proches cousins les chimpanzés.
D’animal-machine à animal qui parle et rit
En Occident, le siècle des Lumières vient renforcer cette opposition homme/animal avec des penseurs comme René Descartes, qui compare les animaux à des machines incapables de penser, mus par des mouvements mécaniques comme une horloge. Le développement des sciences aux 18e et 19e siècles vient contredire une telle vision. En 1859, Charles Darwin propose que toutes les espèces, dont l’homme, ont évolué d’un ancêtre commun par le processus de la sélection naturelle. Sa théorie sera largement confirmée au cours du 20e siècle avec le développement de la génétique.
Ainsi 98% de nos gènes sont identiques à ceux de nos plus proches cousins les chimpanzés. Cette petite différence de 2% correspond par ailleurs à la durée depuis laquelle nous nous sommes différenciés. Notre plus lointain ancêtre commun (LUCA: last universal common ancestor) remonte à près de 4 milliards d’années et notre séparation de la lignée des chimpanzé à 8 millions d’années (soit 2% de ce temps).
Par le passé, nombre de critères ont été utilisés pour nous distinguer des autres animaux, comme l’utilisation d’outils, la conscience de soi et de la mort, le langage, le rire ou la capacité de réflexion. Or les recherches en éthologie ont démontré que de tels comportements peuvent se retrouver à des degrés divers chez d’autres animaux, non seulement chez des primates ou d’autres mammifères, mais aussi chez des oiseaux et même des insectes.
Le critère de l’intelligence n’est malheureusement pas mesurable scientifiquement.
L’intelligence, une question relative
Le critère de différenciation le plus souvent mentionné est l’intelligence, mais ce critère n’est malheureusement pas mesurable scientifiquement. La taille du cerveau et le nombre de neurones jouent certainement un rôle mais n’expliquent pas à eux seuls le développement exceptionnel de nos civilisations. Celles-ci ont connu un essor exponentiel depuis le développement de l’agriculture et de l’élevage, qui ont conduit à la sédentarisation. Ceci a favorisé la transmission des savoirs, autrement dit l’éducation. La naissance de l’écriture, la création d’écoles, l’invention de l’imprimerie, l’apparition de l’informatique ont peu à peu amplifié les potentialités éducatives.
Ces potentialités ont pris une nouvelle envergure grâce à l’intelligence collective, qui a permis un développement prodigieux des sciences: les chercheurs peuvent se baser sur les travaux de leurs collègues pour approfondir nos connaissances, sans avoir besoin de réinventer la roue. Vu que cette intelligence collective n’est pas calculable, il nous reste la paléontologie pour des critères concrets et mesurables pour nous définir: nous sommes des primates caractérisés par la bipédie, qui se mesure par la position du trou occipital situé en arrière et en bas du crâne et d’autres critères ostéologiques.
Et pour des critères concernant le comportement, laissons le mot final au neuropsychiatre et éthologue Boris Cyrulnik: «[… les hommes] peuvent fabriquer des cathédrales ou des récits merveilleux, autant que des outils pour faire la guerre afin d’imposer leurs idées et leurs croyances, jusqu’au génocide ou à la destruction de la planète. Ça, les animaux ne savent pas le faire.» (Quarante voleurs en carence affective: bagarres animales et guerres humaines, Éditions Odile Jacob, 2023).
Robin Marchant
Conservateur de géologie au Naturéum de Lausanne et coauteur de l’ouvrage Atlas des vertébrés: de leurs origines à nos jours
L’Atlas des vertébrés: de leurs origines à nos jours: une épopée de 500 millions d’années en 44 pagesÉcrit par Arthur Escher et Robin Marchant, L’Atlas des vertébrés est paru en 2016. Fruit de quinze ans de travail, il relève le défi de rendre accessible au grand public l’évolution des vertébrés sur 500 millions d’années. Le résultat est un ouvrage constitué de planches illustrant la diversité des chemins qu’a pris l’évolution au cours du temps, ainsi que les périodes d’extinctions majeures qui l’ont jalonnée. Un livre essentiel à l’heure où l’humanité prend conscience de ses responsabilités quant aux changements climatiques et du rôle qu’elle devra jouer dans la préservation de la vie. |
Pour aller plus loin
- Biographies d’Arthur Escher et Robin Marchant
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