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Écriture, mode d’emploi

par | 8 février 2021 | Interviews, Thierry Pochon

Sur le modèle anglo-saxon, le tabou de l’aspect acquis de l’écriture saute et de nombreuses écoles et formations voient le jour en francophonie. La méthode «Écrire en classe», de Thierry Pochon, s’inscrit dans cette optique d’enseignement et de pratique.
L’enseignant Thierry Pochon publie la méthode Écrire en classe aux Éditions Loisirs et Pédagogie. Le livre vise à offrir des clés concrètes pour pratiquer l’écriture créative en classe et lui donner un sens comme partie intégrante et nécessaire des cours de français.

Est-il possible d’apprendre l’écriture comme toute autre discipline artistique? Peut-on formuler des trucs et astuces pour «bien écrire» et ainsi améliorer sa pratique? L’écriture créative a-t-elle bien sa place en cours? C’est ce dont est convaincu Thierry Pochon, enseignant de français au secondaire II dans le canton de Fribourg. Fort de son expérience professionnelle auprès de centaines de jeunes et de sept ans d’animation d’ateliers d’écriture, il publie Écrire en classe, une méthode destinée au corps enseignant et préfacée par l’écrivaine Élisa Shua Dusapin. Son but? Combler la lacune de l’écriture dans le cadre scolaire, trop souvent négligée au profit de la critique et de l’analyse. Pourtant, comme le rappelle Thierry Pochon, «l’écriture et la lecture sont deux faces d’une même pièce. C’est comme un muscle: en écrivant, on devient une meilleure lectrice, un meilleur lecteur, et l’on double ses moyens d’appréhender la littérature». Entretien.

L’écriture a ceci de crucial qu’elle permet aux jeunes d’aborder la littérature de manière moins stérile.

Avec Écrire en classe, vous défendez la pertinence de l’écriture dans le cadre scolaire. Quelle est sa place dans le cadre des cours de français?

Thierry Pochon: Le souci, c’est que plus on avance dans le cursus scolaire, plus la part de l’écriture se réduit, au point de devenir accessoire, voire inexistante. Pourtant, l’écriture a ceci de crucial qu’elle permet aux jeunes d’aborder la littérature de manière moins stérile. En leur donnant la possibilité d’écrire, on la rend plus accessible. On leur permet de s’exprimer, et les jeunes ont beaucoup à dire! Les entraîner à mettre des mots sur leurs interrogations, à les projeter leurs préoccupations sur des personnages a un effet libératoire et produit souvent de beaux déclics dans leur rapport à la littérature. En ce sens, la valeur de l’écriture est à trouver tant dans sa portée créative que littéraire.

 

Vous soulevez aussi le problème de formation des enseignantes et enseignants…

Tout à fait. Nos formations universitaires sont concentrées essentiellement sur la critique de textes de grande facture. Il nous manque ainsi de moyens pour faire des retours sur des écrits moins aboutis ou en cours de maturation, comme le sont les textes amateurs ou d’élèves. Le livre propose de combler cette lacune. Le but est donc pour nous d’aller chercher les élèves dans leurs compétences du moment, afin de les mettre en confiance dans leur pratique d’écriture, notamment en se concentrant sur ce qu’ils ont à dire. Le livre propose de combler cette lacune. Et ça marche! Bien sûr, l’idée n’est pas d’en faire des écrivains ou des génies de l’analyse. Chaque élève y trouvera son compte à sa manière. Par exemple, un ancien élève m’a dernièrement confié que, depuis, il écrivait tous les jours une page dans son carnet, avec grand plaisir. Pourtant, il s’agissait d’un élève qui avait beaucoup de difficultés par rapport à la langue et aux textes littéraires.

 

Justement, quels sont, selon vous, les bénéfices de l’écriture pour les élèves?

Ils s’expriment à deux niveaux. Le premier concerne l’enjeu didactique. L’écriture est ici au service de la matière qu’on enseigne. Concrètement, cela signifie qu’elle devient un outil pour aborder certains thèmes ou techniques. Par exemple, pour introduire les différentes focalisation ou se familiariser avec le motif du double, on amène l’élève de l’explorer à travers un texte. Par ce biais, les élèves s’approprient mieux la matière. Le second niveau, l’enjeu pédagogique ou artistique, c’est l’apport en termes d’expression personnelle, l’écriture leur permettant d’explorer de nouveaux horizons et d’élargir par la fiction leur propre univers. Il y a également d’autre bénéfices, comme un baisse des résistances face à ce mur que peut représenter la littérature ou encore, plus concrètement, une amélioration de la maîtrise de la langue. L’investissement de temps est donc largement compensé sur la durée, car les bénéfices sont multiples.

Les jeunes ont beaucoup à dire!

Dans la troisième partie de votre livre, vous développez le retour sur les textes des élèves, ainsi que leur évaluation. En quoi est-ce important?

Parce que les astuces formelles pour améliorer un texte existent. L’idée n’est pas de donner aux élèves une série exhaustive de règles, mais des éléments de retours, des pistes de retravail. Par exemple, abandonner la profusion d’adverbes. Ou expliquer le principe du show don’t tell, c’est-à-dire l’art de suggérer plutôt que d’expliquer. La prochaine fois, le texte ne sera pas parfait, et l’enjeu pas complètement maîtrisé, mais il y aura sans doute une amélioration. Bien sûr, ce type de retour doit aussi être fait avec parcimonie, afin que cet espace d’écriture demeure pour les élèves un refuge de liberté, dans lequel ils ne se sentent surtout pas étouffés. C’est aussi pour cette raison que je préconise une approche dépourvue de notes, chaque texte écrit étant un entraînement et non un match. Ainsi, l’exercice d’écriture ne peut être envisagé que comme un bonus, une plus-value, et non comme un test potentiellement péjoratif. Avec pour but, toujours, que l’écriture soit un point d’entrée complémentaire et décomplexé pour aborder la littérature et le français.

 

Peut-on donc apprendre à écrire comme on apprend à cuisiner?

En tout cas, la cuisine et l’écriture sont toutes les deux des pratiques. Toutefois, dans la francophonie, nous sommes encore malgré tout tributaires de la figure romantique de l’écrivain génial. D’où ce retard institutionnel de l’écriture, qui heureusement tend à se combler. Les Anglo-saxons ont depuis longtemps fait voler en éclat ce tabou avec des écoles spécialement dédiées à l’enseignement de l’écriture. Comme en cuisine, tout le monde peut avoir et développer un intérêt pour l’acte d’écrire. Il n’y a pas besoin d’être un chef étoilé pour savoir cuisiner.

Page de couvertue de «Écrire en classe»

«Écrire en classe», un ouvrage permettant aux élèves d’acquérir un regard critique sur leurs écrits et d’enrichir leurs compétences de compréhension de texte.

Des clés pratiques pour enseigner l’écriture

Destiné aux niveaux secondaires, Écrire en classe propose un programme pratique et exhaustif pour introduire l’écriture dans le cadre scolaire. Doté d’exemples concrets et de pistes de réflexion, ce livre donne de nombreuses clés au corps enseignant. Conçu en trois parties («Comment faire écrire», «Quand faire écrire» et «Que faire des textes»), son but est de permettre aux élèves non seulement d’explorer leur créativité et d’acquérir un regard critique sur leurs écrits, mais aussi d’enrichir leurs compétences d’analyse et de compréhension du texte.

Ce livre s’inscrit dans une démarche d’écriture inclusive. Ainsi, pour des questions de commodité de lecture et en vertu de la règle de majorité, les mots «élève» et «enseignant·e» sont accordés à la forme féminine. En revanche, le mot «lecteur», employé comme type, est maintenu au masculin.

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