Pour s’intégrer dans un pays, on peut difficilement passer outre l’apprentissage de la langue. Mais quand on vient de Syrie, d’Erythrée ou de Somalie, ce passage se révèle souvent périlleux. L’association Français en Jeu donne des cours à des migrantes et migrants en situation de précarité depuis 1991, dans tout le canton de Vaud. Pour leur apprendre le français, cette dernière s’est fondée sur une méthode pédagogique innovante: approcher la langue à la fois de manière ludique et pratique, comme moyen favorisant l’intégration. Décryptage avec Ronda Léchaire-Callahan, responsable de la région Ouest lausannoise.
Comment est née l’idée de l’ouvrage La Suisse en Jeu?
Ronda Léchaire-Callahan: L’idée est née d’un cours pilote sur l’apprentissage du français sur la Suisse. Le principal souci, avec l’apprentissage du français, c’est que la majorité des manuels font référence à la francophonie française et tout particulièrement à Paris. Les auteures Sarah Grosjean Dia et Myriam Schleiss ont donc pensé qu’il serait judicieux d’avoir un ouvrage qui exploiterait les particularités locales. Par ailleurs, cela nous donne l’atout considérable de disposer de notre propre matériel pédagogique.
L’apprentissage de la langue doit avant tout être utile.
Quelle est l’approche pédagogique de ce livre?
Cette méthode s’appuie sur l’approche didactique de «Français langue d’intégration». Cette dernière considère la langue sous un angle pratique, contrairement aux approches purement récréatives de langue apprise «pour le plaisir». C’est sur ce postulat que se fonde également le projet du Secrétariat d’État aux migrations, fide, qui vise à établir un programme d’apprentissage linguistique au niveau fédéral. Pour eux comme pour nous, l’apprentissage de la langue doit avant tout être utile et c’est pourquoi la méthode contient de nombreuses références à la vie quotidienne, car elle va servir à s’intégrer.
Qu’est-ce que la notion de jeu vient faire dans cette démarche utilitaire?
Dès ses débuts, Français en Jeu a considéré l’apprentissage de la langue de manière communicative, qui encourage le travail en sous-groupes. L’ouvrage s’articule en 28 thèmes modulaires, sans ordre préétabli: on peut commencer n’importe où, en tenant compte des demandes des apprenants. Par rapport à des approches d’apprentissage traditionnelles, il s’agit d’une méthode horizontale de co-construction, où le formateur n’est pas le seul maître à bord. Les apprenants sont également encouragés à s’exprimer sur leurs envies et à décider quel sera le programme du cours.
Quel est le profil des personnes qui fréquentent vos cours?
C’est difficile de répondre à cette question, car 116 nationalités sont représentées dans nos cours et la demande va croissant depuis quatre ans. Sans généraliser, je dirais qu’il s’agit souvent de personnes au bénéfice d’un permis B et la grande majorité sont des femmes. Par ailleurs, vu que nos cours ont toujours été gratuits, nous privilégions les personnes en situation défavorisée. Mais il y a autant des travailleurs peu scolarisés que des universitaires, les profils sont très diversifiés. Et bien sûr, ils sont tous assez débutants en français, car la méthode s’adresse aux personnes d’un niveau A1-A2.
Et quel est le profil de vos formatrices et formateurs?
Là encore, les profils varient énormément. Nous avons des personnes en situation de reconversion professionnelle, qui souhaitent se lancer de nouveaux défis ou servir un but humanitaire, des personnes qui ont voyagé ou étudié à l’étranger, des étudiants, des mères au foyer ou encore des retraités. Qu’elles soient bénévoles ou salariées, elles ont toutes envie de s’impliquer pour aider les migrants à mieux appréhender la vie en Suisse.
Comment voyez-vous l’avenir de l’association?
Notre association a toujours eu comme objectif de devenir un centre de compétences. C’est pourquoi nos exigences pédagogiques sont très élevées, car nous voulons offrir à nos apprenants les meilleures clés d’apprentissage pour comprendre notre langue et nos coutumes. Vu que la demande va croissant depuis huit ans, il est nécessaire d’élaborer une stratégie pédagogique pour l’intégration des migrants et selon nous, le jeu semble être une belle manière d’y parvenir.
Pour aller plus loin
- Plus d’informations sur l’association Français en Jeu
- Plus d’informations sur la méthode La Suisse en Jeu