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Apprendre à décrypter les images: le point avec Gianni Haver

par | 21 mai 2019 | Gianni Haver, Interviews

Gianni Haver, professeur de sociologie de l’image à l’Université de Lausanne.
Comment aider les élèves à développer leur regard critique face aux nouvelles? La réponse de Gianni Haver, professeur de sociologie de l’image à l’Université de Lausanne.

«Les images mentent». Il s’agit d’un lieu commun pas si intuitif que cela, surtout à une époque où l’information passe énormément par l’image. Le Plan d’études romand prévoit de sensibiliser les élèves à leur interprétation: un vaste programme, qui requiert des pistes concrètes. Le point avec Gianni Haver, spécialiste de l’image et auteur des ouvrages Les médias en Suisse et L’image de la Suisse.

 

Comment réagissent les enfants et les adolescents face à la prolifération d’images?

Gianni Haver: Selon moi, il n’y a pas de différence notoire entre la réaction des adultes et celle des adolescents. Mais si je dois analyser la question sous l’angle de ma discipline, c’est-à-dire le rôle culturel des images, je dirais que notre réaction face à ces dernières commence très tôt. Par exemple, quand on apprend à lire et à écrire, on est souvent mis face à un abécédaire, où chaque lettre correspond à une image. Par exemple, a pour «abeille», b pour «bonhomme». En ce sens, l’image prédomine, surtout pour les tout-petits.

 

Les jeunes s’informent de plus en plus par le biais des réseaux sociaux. Qu’est-ce que cela implique quant à notre réaction face aux images?

Une idée communément répandue est que les réseaux sociaux ne contrôlent plus leur rapport à l’image, qu’ils véhiculent davantage de fausses informations. Or, les médias ont toujours effectué un tri, gardé soit le plus choquant, soit le plus beau. Quand on nous montre des photos de la révolte de Budapest et que les médias nous disent «voilà ce qui s’est passé», un tri a déjà été fait pour nous. Nous devrions donc nous questionner et garder en tête qu’il s’agit d’un réel aplati, lissé. Les images mentent toujours, au moins par l’omission inhérente du cadrage, de ce qu’on ne peut pas voir et qui reste hors champ et donc, hors de portée. Une fois que nous remettons leur authenticité en question, que nous nous rappelons qu’elles ne sont qu’un fragment du réel, il n’y a plus de danger.

À mon sens, nous ne devons nous protéger de rien. Un des inconvénients de l’école, c’est qu’elle a tendance à collecter les «bonnes» images et à omettre les «mauvaises».

Dans les compétences transversales prévues par le Plan d’études romand, l’enseignement des MITIC (médias, images, technologie de l’information et de la communication) prévoit notamment de «mettre en évidence que toute image est une représentation de la réalité». Comment parvenir à cet objectif?

En premier lieu, le terme «représentation» me semble être la clé, car il sous-entend à la fois objet second, théâtre et mise en scène. L’enseignement des MITIC met donc l’accent sur l’idée d’une réalité «cadrée», ce qui est un excellent début. À mon sens, nous ne devons nous protéger de rien. Un des inconvénients de l’école, c’est qu’elle a tendance à collecter les «bonnes» images et à omettre les «mauvaises». Mais ces dernières vont être présentes partout à l’extérieur et il n’est donc pas utile de préserver les élèves de leur effet. Il ne faudrait jamais bloquer ou effectuer de tri.

 

Et concrètement, qu’est-ce qu’un tel enseignement pourrait proposer?

On pourrait imaginer un jeu de rôle sur un objet quelconque. Prenons l’exemple de la Syrie, pour des élèves adolescents. On constituerait trois équipes, en leur fournissant la même documentation sur le sujet et les mêmes images. Ensuite, on demanderait à chacun des groupes de les analyser selon un point de vue différent: celui des pays occidentaux, celui des prorégimes et celui des rebelles. Ensuite, on comparerait les résultats. Le même jeu pourrait être imaginé avec l’écriture d’un petit article, par exemple sur la bataille de Mossoul: un point de vue prorusse, un pro-État islamique, un proaméricain, un pro-irakien chiite et un pro-irakien sunnite.

 

Mais cela suppose déjà une bonne connaissance des sujets d’actualité. Que proposeriez-vous pour les plus petits?

On pourrait leur proposer une thématique comme les dragons et leur demander d’élaborer, en sous-groupes, une argumentation selon laquelle les dragons existent, une selon laquelle les dragons n’existent pas et une troisième neutre, qui entretient le doute. Tous ces exemples invitent les élèves à un questionnement de toutes les images, sans discrimination d’aucune sorte.

 

Les enseignants sont-ils tous à même de sensibiliser les élèves à ces questions?

Le principal problème avec l’enseignement des nouveaux médias, c’est que les parents et les enseignants n’utilisent pas les mêmes outils que les élèves. Quand on leur parle de Facebook ou de Twitter, pour eux, c’est déjà un «truc de vieux». Leur culture avance très vite et est extrêmement difficile à maîtriser. Si on leur montre Pierrot le fou ou même Le seigneur des anneaux en parlant de films de référence, il s’agit de notre culture médiatique, pas de leur référant à eux. Si nous leur enseignons comment historiciser leur propre époque, ils pourront mieux comprendre celle d’avant, par exemple, pourquoi il est tendance de mettre en sépia les photos sur Instagram. Il faut replacer internet dans la temporalité des autres médias. C’est comme en chimie si on ne nous montre que le résultat d’une expérience, on ne peut pas comprendre tout le cheminement.

Si on nous apprend comment déchiffrer un texte, pourquoi ne nous apprendrait-on pas à lire les images?

Quand devrait commencer cet apprentissage?

Il n’y a pas vraiment d’âge pour commencer cette sensibilisation. Ce qu’il faut souligner, c’est que l’apprentissage du texte est considéré comme moins intuitif que celui des images, alors que ces dernières ne sont jamais neutres. Dans l’abécédaire, l’image est un moyen pour apprendre les lettres, pas un objet d’apprentissage. Mais si on nous apprend comment déchiffrer un texte, pourquoi ne nous apprendrait-on pas à lire les images?

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