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La pause sous toutes ses formes: le billet de Jean Christophe Schwaab

par | 27 novembre 2024 | Jean Christophe Schwaab, Papiers d'auteurs

La pause-toilette doit-elle être prise hors ou sur le temps de travail? La réponse n’est pas aussi équivoque que le récent arrêté du Tribunal cantonal neuchâtelois le laisserait penser.
Pause-repas, pause-pipi, pause cigarettes, etc. Jean Christophe Schwaab décortique quels sont les droits et devoirs des employés en la matière.
Portrait de Jean Christophe Schwaab

Jean Christophe Schwaab, auteur du livre «Le droit du travail en Suisse». © Photo Olivier Maire

Récemment, un arrêt du Tribunal cantonal neuchâtelois a fait grand bruit en autorisant un employeur du secteur de l’horlogerie à imposer le timbrage à ses employés qui se rendent aux toilettes. Cet arrêt fait notamment le parallèle avec la pause-cigarette ou un appel privé passé depuis son lieu de travail. Il considère donc que la pause-toilettes est une pause, et que, comme les pauses ne comptent pas comme temps de travail, il est possible d’imposer le timbrage à son personnel. Cet arrêt, que plusieurs spécialistes (dont moi) considèrent comme bâclé, voire franchement à côté de la plaque, est une bonne occasion de faire le tour de la question des pauses en droit suisse du travail.

La pause: de quoi parle-t-on?

Selon la Loi sur le travail (LTr), les employés ont droit à une ou plusieurs pauses quotidiennes d’une durée minimale qui dépend de leur horaire de travail (art. 15 LTr): 15 minutes si la journée de travail dure plus de 5 heures et demie, 30 minutes si elle dure plus de 7h et 1h au minimum si elle dure plus de 9 heures. Par ailleurs, les pauses de plus de 30 minutes peuvent être fractionnées en plusieurs réparties sur toute le journée de travail. Ces pauses servent à se reposer et à se restaurer. Une pause doit interrompre le travail (à peu près) en son milieu (art. 18 OLT 1) et son moment doit donc être prévisible.

L’employeur doit mettre à la disposition de son personnel des locaux de pause appropriés, c’est-à-dire calmes, avec accès à l’eau potable, si possible à l’écart des postes de travail et avec vue sur l’extérieur ou lumière naturelle (art. 33 et 35 OLT 3). S’ils en font la demande, les parents d’enfants jusqu’à l’âge de quinze ans ainsi que les employés qui prennent en charge des membres de leur parenté ou de proches exigeant des soins ont droit à au minimum une heure et demie de pause à midi (art. 36 LTr). À part dans les (rares) cas où l’employé n’est pas autorisé à quitter son lieu de travail (p. ex. parce qu’il doit rester dans son véhicule ou être en mesure d’intervenir en cas de panne), le temps de pause n’est pas considéré comme temps de travail et n’est donc pas rémunéré.

Se rendre aux toilettes n’est pas un moment de repos.

Le cas de la pause-toilette

Se rendre aux toilettes n’est pas un moment de repos. C’est un besoin physiologique impérieux de tout être humain et se retenir (que ce soit pour la «petite» ou la «grosse commission») est mauvais pour la santé et fortement déconseillé par le corps médical. L’employeur qui empêcherait son personnel de se rendre aux toilettes (que ce soit directement en donnant des instructions ou indirectement en faisant «timbrer») viole son obligation de protéger la santé de ses employés (art. 6 LTr).

La pause-toilettes ne correspond pas à la définition légale de la pause pour une autre raison: elle n’est en principe pas prévisible et ce besoin peut varier d’une personne à l’autre (p. ex. en raison de l’âge… ou de la taille de la vessie). Dans certains cas, elle est même urgente. Et si elle est le symptôme d’une maladie (infection urinaire, gastro-entérite), il s’agit alors formellement d’un congé-payé… ce qui revient au même que de la considérer comme du temps de travail rémunéré (avec le contrôle bureaucratique en plus).

Enfin, pour des raisons physiologiques liées au sexe, restreindre l’accès aux pauses-toilette (p. ex. en faisant «timbrer») est aussi une discrimination indirecte des femmes (art. 3 LEg), ce qui augmente encore l’illégalité d’une telle pratique. Face à des abus, par exemple un employé qui se rendrait au petit coin plus fréquemment que de raison et sans motif (le cas échéant attesté par un certificat médical), l’employeur peut donner des directives appropriées (art. 321d CO).

Le cas de la pause-cigarette

Fumer n’est pas un besoin fondamental de l’être humain. Vu les effets néfastes du tabac sur la santé, c’est même fortement déconseillé par l’entier du corps médical. Et c’est interdit dans la quasi-totalité des espaces de travail fermés (art. 2 de la loi sur la protection contre le tabagisme passif). L’employeur n’est donc pas obligé d’accorder des pauses-cigarettes en plus des pauses obligatoires décrites plus haut et, même lorsqu’il donne son accord, il peut faire timbrer ses employés qui en prennent. Il n’est pas non plus obligé de prévoir des locaux ou des lieux pour les fumeurs.

Si l’appel ne peut vraiment pas être passé en dehors des horaires de travail, l’employé a le droit d’interrompre ce qu’il fait pour cet appel.

Le cas de l’appel privé passé depuis le lieu de travail

Il faut distinguer deux types d’appels privés. Le premier: l’appel urgent, motivé par une raison impérieuse, par exemple lié à la maladie ou l’accident d’un enfant, d’un conjoint ou d’un autre proche à charge (même si c’est un très court appel pour prévenir une personne de confiance). Ce premier cas relève en réalité d’une incapacité temporaire de travail inhérente à la personnalité de l’employé. Si l’appel ne peut vraiment pas être passé ou pris en dehors des horaires de travail, l’employé a le droit d’interrompre ce qu’il fait pour cet appel et le temps qu’il y passe ne peut entraîner une réduction de son salaire.

Le second type d’appel n’est ni urgent, ni nécessaire, mais purement privé. Le second cas est très facile à résoudre: l’employeur peut interdire ce genre d’appel et, si les employés jugent que cette communication ne peut attendre la fin des horaires de travail, ils peuvent attendre leur pause pour les passer. L’employeur peut aussi les autoriser, mais, comme il ne s’agit pas d’un moment où l’employé est à sa disposition (puisqu’il est pendu au téléphone), il est possible d’exiger de timbrer avant et après pour que cela ne soit pas compté comme temps de travail.

Le temps de travail pendant lequel on ne travaille pas

Relevons enfin que certains moments sont légalement comptés comme temps de travail, bien que les employés… ne fournissent pas de prestation de travail. C’est notamment le cas des mesures d’information et de formation à la santé ainsi que la sécurité au travail, ou le temps d’habillage pour enfiler un équipement de protection ou d’hygiène.

Il en va de même de l’allaitement au travail: les mères qui allaitent peuvent disposer de temps nécessaires pour allaiter ou tirer leur lait. Au cours de la première année de la vie de l’enfant, 30 minutes sont comptabilisées comme temps de travail rémunéré si la journée de travail de l’employée dure jusqu’à 4 heures, 60 minutes si la journée dure plus de 4 heures et 90 minutes si elle dure plus de 7 heures (art. 60 OLT 1). L’employeur doit d’ailleurs prévoir des locaux adéquats allaiter/tirer le lait ou se reposer (art. 34 OLT 3).

 

Jean Christophe Schwaab
Docteur en droit et auteur de l’ouvrage Le droit du travail en Suisse: 100 questions-réponses issues de la pratique

 

Le droit du travail en Suisse100 questions pour tout savoir sur le droit du travail

Dans quels cas parle-t-on de mobbing? Que faire en cas de harcèlement sexuel au travail? Un employeur peut-il diminuer unilatéralement le salaire d’un employé? L’employé peut-il échanger ses vacances contre de l’argent? Peut-on s’absenter du travail pour garder son enfant malade? Qu’est-ce qu’un congé abusif?

Voici quelques-unes des 100 questions qu’aborde Le droit du travail en Suisse. Dans un langage clair et accessible, Jean Christophe Schwaab amène chaque réponse de manière détaillée et nuancée. Un guide pratique et essentiel, à mettre entre toutes les mains.

 

 

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