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La pédagogie Montessori selon… Maria Montessori

par | 31 août 2021 | Bérengère Kolly, Interviews

Maria Montessori a été une des pédagogues majeures du XXe siècle. Ses méthodes pédagogiques se diffusent toujours à travers le monde, où de nombreuses structures éducatives se revendiquent de son approche.
Décryptant l’œuvre au regard de la vie de Maria Montessori, un livre fait la lumière sur cette pédagogie dont la vaste diffusion depuis le début du XXe siècle a dénaturé une partie de son essence. Entretien avec Bérengère Kolly, spécialiste de l’éthique éducative et des pratiques montessoriennes.

Quand on évoque le nom de Maria Montessori, on pense immédiatement à liberté de l’enfant ou aux jouets multicolores en bois. On peut aussi avoir en tête des écoles privées élitistes, qui favorisent le potentiel de chaque enfant, ou des cercles scolaires alternatifs qui défendent la bienveillance et l’absence de performance. En Europe et ailleurs dans le monde, la pédagogie élaborée par la psychiatre italienne de 1908 à sa mort en 1952 a en effet le vent en poupe, au risque d’être galvaudée.

Comme le rappelle Bérengère Kolly, enseignante et chercheuse à l’Université Paris Est Créteil, tout ce qui est labellisé «Montessori» n’est pas forcément du «Montessori». Dans son livre Montessori, qui retrace son œuvre à la lumière de sa vie, elle détaille non seulement les apports de la pédagogue aux sciences de l’éducation, mais soulève aussi la problématique de la diffusion d’une pédagogie qui a peut-être été victime de son succès. Retour aux sources en 5 questions.

Une idée-force de Montessori était de considérer qu’un changement éducatif profond devait se faire chez l’adulte.

On parle beaucoup de la pédagogie Montessori, mais moins de sa fondatrice, Maria Montessori. «Ni légende noire ni dorée», écrivez-vous dans votre livre, qui était-elle vraiment?

Bérengère Kolly: La question est difficile, car pour écrire ce livre, la trame biographique était davantage un prétexte pour parler de sa pédagogie et de ses pratiques. Toutefois, on peut dire que c’était quelqu’un qui fourmillait d’idées et qui faisait feu de tout bois, s’inspirant à la fois de Jean-Jacques Rousseau (envers lequel elle était aussi très critique) ou de penseurs moins connus comme Édouard Séguin et Jean Itard. Elle a fait des choix radicaux dans la manière de mener sa carrière et de diffuser sa pédagogie, ce qu’on lui a reproché déjà de son vivant.

C’était aussi une personnalité de contrastes. On fait parfois le portrait d’une pédagogue austère et, au-delà de certaines idées reçues et de l’idée de libération de l’enfant qu’elle défendait, elle reste l’une des figures les plus conservatrices de l’école nouvelle. Cependant, sa spécificité reste pour moi son regard sur l’enfant, et sa manière unique de considérer les problèmes éducatifs.

 

Justement, en quoi ce regard sur l’enfant fait-il la spécificité de la pratique montessorienne?

Maria Montessori voyait l’enfant, non pas seulement comme un être vulnérable, mais comme un être qui possède une puissance et des ressources à découvrir. Une autre idée-force était de considérer qu’un changement éducatif profond devait se faire chez l’adulte: elle parlait de «réformer les réformateurs»! Cela signifie que cette libération de l’enfant et de son potentiel devait influencer l’adulte, et non le contraire.

En cela, l’enfant n’est pas une table rase que l’adulte peut modeler à sa guise, mais une force vitale qui a quelque chose à lui dire. Néanmoins, puisque le nom Montessori n’est pas protégé, tout ce qui se dit «Montessori» n’en est pas. Bien sûr, de telles pratiques peuvent être pertinentes dans leur contexte, mais sont parfois fort éloignées des pratiques montessoriennes habituelles.

Dans le processus éducatif, les adultes font la guerre aux enfants et les détruisent de l’intérieur, amenant une «paix des vaincus».

Dans votre livre, vous rappelez que Maria Montessori prétendait que les adultes sont «en guerre contre les enfants». Il s’agit d’un concept très fort, voire extrême.

Tout à fait. Toutefois, il faut remettre cette idée dans le contexte des années 1930. À cette époque, alors que les sociétés sont marquées par la Première Guerre mondiale, Maria Montessori donne un cycle de conférences en Suisse, à propos de la place de l’éducation dans le processus de paix (d’autres pédagogues, dont Jean Piaget, l’ont également fait à l’époque). Comme de nombreux pédagogues de cette époque, elle pense que les germes de la guerre sont à trouver dans l’éducation, mais elle va plus loin en disant que, dans ce processus éducatif, les adultes font la guerre aux enfants et les détruisent de l’intérieur, amenant une «paix des vaincus».

C’est pour cette raison qu’elle défendait une éducation qui permette à l’enfant de conserver ses forces vives et sa force morale, une idée que l’on peut retrouver parfois, dans l’esprit, chez la psychanalyste suisse Alice Miller. Éduquer l’enfant dans le respect de ses tendances profondes et de manière non violente: ce sont deux façons, au moins, de permettre que l’enfant résiste, plus tard, comme adulte, à ce que Montessori appelait le «virus de la guerre».

 

Quelles sont les dénaturations principales des pratiques montessoriennes aujourd’hui?

Déjà de son vivant, Maria Montessori était préoccupée par la transmission de sa pédagogie. Elle prétendait que les gens n’appliquaient pas bien cet héritage. En même temps, elle a aussi encouragé sa diffusion à large échelle, tant en Europe qu’en Inde ou aux États-Unis. Sa pédagogie s’adaptait très bien à différents contextes, ce qui fait que nous pouvons trouver à la fois des pratiques très homogènes et inscrites dans des contextes culturels et sociaux très divers.

Promouvoir seulement une liberté de mouvement et d’apprentissage ne relève pas forcément de Montessori, car elle prétendait que la négligence et le manque de cadre sont aussi une violence faite à l’enfant.

Le grand contresens actuel réside selon moi dans les «jouets» ou les «coffrets» Montessori, qui s’adressent à un enfant en particulier. Or, le matériel montessorien n’a de sens qu’en collectif, avec le libre choix des objets et l’éthique du partage entre les enfants sur le long terme. Autre contresens, croire que la pédagogie Montessori est une pédagogie libertaire. Promouvoir seulement une liberté de mouvement et d’apprentissage ne relève donc pas forcément de Montessori, car elle prétendait que la négligence et le manque de cadre sont aussi des violences faites à l’enfant.

 

Que peut encore nous apporter la pédagogie Montessori aujourd’hui?

Même si elle a été longtemps reléguée à la poussière des étagères, la pédagogie Montessori rencontre beaucoup de succès aujourd’hui. À mon sens, elle fait actualité parce qu’elle répond à une demande sociétale de soin et de bienveillance. Toutefois, l’écueil serait de céder à la tentation du non-effort, d’une éducation trop libre, complètement dépouillée d’autorité. Il s’agit sans doute du défi des praticiennes et praticiens montessoriens: revenir au «travail» de l’enfant, dans le sens d’une activité qui régule son énergie et ses intérêts.

Par ailleurs, un autre grand malentendu concerne le temps à investir pour la formation des équipes éducatives et la mise en œuvre de cette pédagogie de la lenteur. Il ne suffit pas de liberté pour «faire du Montessori», il faut également des techniques spécifiques, une éthique sincère et un «agir» bien spécifique. Et par-dessus tout, il faut du temps.. Mais ce n’est pas forcément une mauvaise chose! Nous nous plaignons souvent de n’avoir plus assez de temps, enfants comme adultes. Peut-être est-ce ce dont nous avons besoin aujourd’hui, et cela dépasse Montessori.

Ils mettent le p dans Loisirs et Pédagogie!

La collection Les grands pédagogues regroupe des ouvrages biographiques sur Maria Montessori, Johan Heinrich Pestalozzi, Célestin Freinet, le Père Girard et Rudolf Steiner. À l’heure où l’éducation est au centre des grands débats de société, elle offre une synthèse de ce que plusieurs siècles de réflexions et d’expériences pratiques ont légué aux enseignantes et enseignants d’aujourd’hui. Vous trouverez tous nos livres dédiés à la pédagogie sur notre catalogue en ligne.

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