En juin, revient le temps des balades en montagne: respirer un grand bol d’air frais, admirer les magnifiques vues des sommets et se dégourdir les jambes sur des sentiers parsemés de cailloux. Des cailloux? Cette rocaille banale qu’on écarte sans cérémonie du passage? Pourtant, même la plus petite pierre du Jura, des Alpes ou du Cervin, possède une histoire qui dépasse la nôtre de très loin. Comme le rappelle Michel Marthaler, auteur de Le Cervin est-il africain?, «les pierres sont des ambassadrices de l’histoire de la terre. Aucun des cailloux que vous ne foulerez sur les chemins de randonnées ne sont nés en Suisse. Ce sont des immigrés, bien plus vieux que les montagnes.»
«Aucun des cailloux que vous ne foulerez sur les chemins de randonnées ne sont nés là où vous les trouvez. Ce sont des immigrés, bien plus vieux que les montagnes.»
Étrangères nées dans la mer
Michel Marthaler nous raconte leur histoire comme on narre un conte: «Prenez par exemple cette pierre de serpentinite trouvée au barrage de Moiry, dans les Alpes valaisannes. Elle a une origine magmatique et date de 160 millions d’années (voir carte 2 ci-contre), lorsque le supercontinent de la Pangée se fracture pour donner naissance à la mer Téthys. Une importante activité volcanique sous-marine génère alors des laves en coussins, qui forment le fond de cet océan qui s’agrandit (voir infographie 1 ci-dessous).»
Pendant cette époque du Jurassique où toute la future Europe était sous l’eau, les roches calcaires du Jura se sont déposées près du rivage nord de la mer Téthys. «Il y avait plein de dinosaures qui se promenaient le long des plages, précise le géologue. On retrouve aujourd’hui leurs pas gravés dans la pierre, comme à Courtedou (JU), Reuchenette (JU) ou Loulle (F).»
Beaucoup de pierres des Alpes
sont en réalité nées dans la mer.
Témoins de l’histoire de la Terre
Il y a 50 millions d’années, l’Atlantique Nord se forme (voir carte 4 ci-contre). Sous l’effet des pressions qui en résultent, l’Afrique et l’Europe se rapprochent, puis cette dernière s’enfonce sous la plaque africaine. Les couches de roches d’origine marine, où se situent les serpentinites, se retrouvent coincées entre deux plaques tectoniques, des dizaines de kilomètres sous terre (voir infographie 2). «Quelques millions d’années plus tard, les Alpes valaisannes s’élèvent, mais le Cervin n’a pas encore sa forme actuelle. Le Jura pointe son nez en dernier, souligne notre passionné des rochers. L’érosion exhume lentement les montagnes actuelles et dégage les cailloux qui roulent sur les versants des montagnes, laissant apparaître la serpentinite présente sur nos sentiers.» Ainsi, beaucoup de pierres des Alpes sont en réalité nées dans la mer.
Quand vous irez vous promener, réfléchissez donc à deux fois avant de leur mettre des coups de pieds. Prenez-les plutôt dans vos mains et pensez que vous tenez-là les témoins d’âges immémoriaux, où l’homme n’existait pas, les survivants d’une inhumation millénaire, revenus à la lumière pour nous raconter un pan de l’histoire de la Terre. En tant qu’immigrés des temps anciens, les cailloux méritent plutôt tout notre respect!
Textes: Chloé Falcy
Mise en page: Yan Giroud
Pour aller plus loin
- Plus d’informations sur Michel Marthaler: sa biographie sur le site des Éditions LEP
- Plus d’informations sur Le Cervin est-il africain?