En octobre 2018, un gardien de la prison valaisanne de Crêtelongue a été congédié sans préavis parce qu’il s’était endormi pendant son service de nuit, laissant toute une partie de la prison sans surveillance. Il s’était installé confortablement pour cela: chaise longue, coussin et couvertures. En juillet de cette année, le tribunal fédéral a jugé que ce licenciement était justifié. Cette histoire nous donne l’occasion de nous pencher sur cette forme exceptionnelle de mettre fin à un contrat de travail qu’est le licenciement avec effet immédiat pour juste motif.
Les conditions du licenciement immédiat
En principe, un contrat de travail ne peut être résilié qu’à l’échéance d’un délai de congé (qui dure de un à trois mois en fonction de l’ancienneté, voire plus si cela a été convenu), même lorsque l’employeur n’est pas content des services de son collaborateur ou que leurs relations sont mauvaises. Un employé qui ne se plaît pas à son travail ou veut en changer est aussi lié au délai de congé. Exceptionnellement, l’employeur ou l’employé peuvent mettre un terme immédiat au contrat de travail, qui prend alors fin tout de suite. Cela n’est toutefois possible qu’à deux conditions: il faut un motif justifié et cela doit être fait sans délai.
Un congé avec effet immédiat est notamment justifié lorsque la confiance est irrémédiablement rompue.
Un congé avec effet immédiat est notamment justifié lorsque la confiance est irrémédiablement rompue. C’est par exemple le cas lors d’une négligence particulièrement grave des devoirs de l’employé, comme dans le cas du gardien de prison assoupi, même si, comme dans ce cas, cela n’a pas porté à conséquence (aucune évasion ou problème n’ont été signalés pendant les roupillons). Un motif justifié peut être un motif unique très grave ou une accumulation d’incidents moins graves, mais devenus intolérables, car répétés sur une longue période et dont l’employeur a exigé qu’ils cessent, si nécessaire par des avertissements.
… et ses motifs
La gravité du motif dépend de l’expérience, de la fonction et du niveau hiérarchique de l’employé: l’employeur peut être plus exigeant avec un cadre dirigeant ou un employé expérimenté qu’avec un subalterne. Ainsi, un employé qui ferait un somme au travail sans assumer des fonctions liées à la sécurité publique serait moins durement jugé qu’un gardien de prison.
L’âge peut aussi jouer un rôle dans l’appréciation du «juste motif» par un tribunal: une apprentie de 16 ans n’a pas pu être licenciée avec effet immédiat pour abus de téléphone portable sur le lieu de travail, contrairement à un jeune de 24 ans qui s’était moqué de son employeur sur les réseaux sociaux.
L’employeur peut aussi mettre fin au contrat avec effet immédiat lorsque l’employé ne se présente pas à son travail sans excuse valable et en manifestant la ferme intention de ne plus y revenir (abandon de poste). Quant aux employés, ils peuvent donner leur congé avec effet immédiat quand l’employeur néglige gravement ses devoirs élémentaires: ne pas garantir leur sécurité au travail, payer les salaires systématiquement en retard, voire montre des signes objectifs d’insolvabilité.
Tout de suite, ce n’est pas plus tard
Un congé avec effet immédiat, ça doit être immédiat. Cela veut dire que l’employeur, dès la prise de conscience des motifs, n’a pas le temps de tergiverser. On doit donner le congé dans un délai de 2-3 jours au maximum; le temps, si nécessaire, de se faire conseiller, de mener une brève enquête pour éclaircir les faits ou de convoquer l’organe qui peut prononcer le congé. Si on ne le fait pas immédiatement, par exemple parce qu’on hésite, cela signifie implicitement que les motifs ne sont finalement pas si graves que ça.
Dans le cas d’une collectivité publique dont les processus de décisions sont parfois plus lents, par exemple parce qu’il faut attendre la séance de l’exécutif communal, ce délai peut durer quelques jours de de plus. Quoi qu’il en soit, la décision doit être communiquée sans équivoque: la personne qui donne le congé avec effet immédiat pour juste motif doit préciser qu’il ne s’agit pas d’un licenciement ordinaire, mais d’une mesure exceptionnelle fondée sur des motifs graves.
La partie qui a donné le congé avec effet immédiat pour juste motif peut exiger de l’autre partie une réparation du dommage subi en raison de la faute de l’autre partie.
Enfin, la partie qui a donné le congé avec effet immédiat pour juste motif peut exiger de l’autre partie une réparation du dommage subi en raison de la faute de l’autre partie. Lorsque l’employeur résilie immédiatement le contrat sans justes motifs, le travailleur a droit à ce qu’il aurait gagné si les rapports de travail avaient pris fin à l’échéance du délai de congé ou du terme du contrat s’il s’agissait d’un CDD, moins ce qu’il a éventuellement gagné en retrouvant un nouvel emploi pendant ce laps de temps. Un tribunal pourra accorder en sus une indemnité allant jusqu’à 6 mois de salaire.
En cas d’abandon de poste, l’employeur a droit à une indemnité égale au quart du salaire mensuel de l’employé. Dans tous les cas, comme la jurisprudence en matière de licenciement avec effet immédiat est abondante, il est prudent de se faire conseiller avant de donner le congé de cette façon, histoire d’être de s’assurer, autant que possible, que cette mesure exceptionnelle est bien justifiée.
Quitter son poste de travail n’équivaut pas forcément à la fin du contrat
Le licenciement avec effet immédiat ne doit pas être confondu avec un licenciement ordinaire avec libération de l’obligation de travailler. Cette méthode de licenciement est inspirée des pratiques américaines selon lesquelles un salarié qui perd son emploi quitte immédiatement les locaux de son employeur avec, sous le bras, un carton contenant ses affaires personnelles, parfois accompagné par la sécurité, après avoir vu ses accès informatiques coupés.
Elle est malheureusement de plus en plus répandue. En droit suisse du travail, il est possible de libérer de l’obligation de travailler un employé à qui on vient de donner le congé, mais celui-ci reste employé jusqu’à l’issue de son délai de congé. Il n’a plus besoin de venir travailler, mais touche toujours son la totalité de son salaire jusqu’à la fin de son contrat.
Sans motifs objectif de procéder de la sorte, une telle façon de licencier quelqu’un peut faire peser un soupçon sur le salarié qui doit quitter immédiatement son poste de travail (alors qu’il n’a pas été licencié avec effet immédiat pour juste motif) et peut être considérée comme sans égards, voire brutale, et rendre le licenciement abusif, ce qui peut donner droit à une indemnité.
Jean Christophe Schwaab
Docteur en droit et auteur de l’ouvrage Le droit du travail en Suisse: 90 questions-réponses issues de la pratique
90 questions pour tout savoir sur le droit du travailDans quels cas parle-t-on de mobbing? Que faire en cas de harcèlement sexuel au travail? Un employeur peut-il diminuer unilatéralement le salaire d’un employé? L’employé peut-il échanger ses vacances contre de l’argent? Peut-on s’absenter du travail pour garder son enfant malade? Qu’est-ce qu’un congé abusif? Voici quelques-unes des 90 questions qu’adresse Le droit du travail en Suisse. Dans un langage clair et accessible, Jean Christophe Schwaab amène chaque réponse de manière détaillée et nuancée. Un guide pratique et essentiel, à mettre entre toutes les mains. |
Pour aller plus loin
- Le droit du travail en Suisse: 90 questions-réponses issues de la pratique de Jean Christophe Schwaab
- Le blog de Jean Christophe Schwaab