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Nos enfants jouent-ils assez?

par | 28 septembre 2017 | Interviews, Raymonde Caffari-Viallon

Le jeu symbolique développe tant le savoir-être que le savoir-faire, les compétences cognitives, sociales et motrices.
Avec Pour que les enfants jouent, la spécialiste de la petite enfance Raymonde Caffari-Viallon propose de replacer le jeu au centre du développement de l’enfant. Entretien.

Dans notre société hyperactive, le jeu des enfants semble toujours plus relégué aux marges du quotidien. Quand la moindre seconde doit être «utile», le jeu des enfants est-il menacé? Raymonde Caffari-Viallon, spécialiste de la petite enfance, pallie cette tendance avec l’ouvrage Pour que les enfants jouent. Entretien avec une «joueuse» invétérée, qui considère que le jeu doit être remis au centre du développement des enfants, pour leur permettre de mieux se construire.

À travers le jeu spontané,
l’enfant se construit.

Raymonde Caffari-Viallon est l’auteure du livre «Pour que les enfants jouent», paru aux Éditions Loisirs et Pédagogie en 2017.

Pour que les enfants jouent: le titre semble ramener à une évidence, non?

Raymonde Caffari-Viallon: Détrompez-vous! Pour que les enfants jouent, trois conditions fondamentales doivent être réunies: l’enfant ne doit pas être inquiet pour lui-même, il doit être dans un environnement protégé du monde et il doit être en lien avec ce dernier. Sinon, le jeu n’a pas lieu. J’ai passé des mois à observer les jeux des tout-petits dans les garderies, en y posant un regard professionnel, et j’ai constaté que le jeu spontané n’était de loin pas favorisé dans chacune d’entre elles, ni dans tous les foyers.

 

Quelle en est la raison?

À mon sens, le jeu spontané n’est pas considéré à sa juste valeur. Les parents et les éducateurs ont souvent tendance à privilégier les activités perçues comme utiles, qui vont servir pour plus tard ou qui anticipent la vie professionnelle. Bien qu’elle parte d’un bon sentiment, cette approche n’est pas souhaitable, car elle étouffe le jeu, en particulier le jeu symbolique des enfants, quand ils laissent parler leur imagination et jouent «à faire semblant». Pensez à la somme de choses que l’on apprend à l’école: qu’avez-vous vraiment retenu de cette masse scolaire, «utile», que vous avez engrangée? Peu de choses. Beaucoup d’autres compétences sont tout aussi importantes.

 

C’est-à-dire?

Prenez des enfants qui jouent à la dînette. Ce faisant, ils entraînent, sans le savoir, un apprentissage psychomoteur, en faisant attention à ne pas faire tomber les couverts, des compétences sociales, en feignant de s’adresser à des clients ou en se parlant entre elles, ou encore des capacités d’organisation ou de communication, autant de choses que les adultes auraient de la peine à leur enseigner sciemment. Le jeu symbolique développe tant le savoir-être que le savoir-faire, les compétences cognitives, sociales et motrices. L’enfant sait ce dont il a besoin. À travers le jeu spontané, il se construit.

 

Les enfants ne jouent-ils donc plus assez?

Cela dépend du milieu. Les parents qui auront eux-mêmes beaucoup joué n’auront probablement aucune peine à favoriser cette démarche chez leurs enfants. Mais une des contraintes principales qui limite le jeu des enfants est la vie trépidante des parents, qui rend le jeu spontané difficile, voire impossible: plus la marge de moments libres, purement destinés au jeu, se réduit, plus la capacité de l’enfant à jouer seul, sans stimuli extérieurs, sera appauvrie. S’il fallait comparer à «avant», on peut dire que la nature des enfants, leur besoin d’explorer leur environnement immédiat, reste le même, mais le contexte change. D’où la nécessité de replacer le jeu au centre du développement de l’enfant.

Le jeu est comme un muscle: il se travaille.

Comment encourager le jeu spontané?

En premier lieu, il faut prévoir le cadre: pour ce faire, le milieu des adultes doit être restructuré, les dangers écartés, les objets fragiles mis de côté. Ce prérequis est moins évident aujourd’hui, car les parents ont des enfants de plus en plus tard et leur environnement est, de fait, déjà bien établi. En second lieu, il faut édicter des règles, qui doivent être aussi peu nombreuses et aussi claires que possible. Les enfants font-ils trop de bruit? Il faut leur rappeler de ne pas crier. Vont-ils toujours où ils ne sont pas censés aller? Il pourrait être bon de mettre une barrière pour les empêcher d’aller dans les endroits «interdits». Enfin, si l’enfant ne trouve pas de quoi jouer, on peut regarder s’il y a des choses intéressantes aux alentours. L’adulte doit suggérer, mais jamais imposer. Le jeu est comme un muscle: il se travaille. On voit souvent des enfants qui ne savent pas jouer, parce qu’on leur a toujours donné de quoi se distraire et qu’ils ne se sont donc jamais «entraînés» à jouer.

 

Justement, quelle place ont les tablettes et autres jeux électroniques dans tout ça?

Tout jeu, sur écran, moteur, à règles ou symbolique, est bénéfique s’il correspond aux besoins de l’enfant. À présent, les tablettes sont omniprésentes, on ne peut pas faire sans. Cela dit, le problème principal que j’observe avec ces dernières, c’est que les jeux qu’elles proposent sont pauvres: certes, ça bouge, c’est plein de couleur, mais l’enfant doit suivre ce qui a été pensé pour lui, sans effort d’imagination. En somme, il doit s’adapter au monde et non plus le changer. En outre, les écrans sont fascinants, addictifs, et, en tant que tel, ils immobilisent. Or, jusqu’à sept ans, et même jusqu’à la puberté, les enfants ont besoin d’être actifs et de percevoir leur environnement avec l’entier de leur corps. Il est donc nécessaire pour eux de bouger.

 

Le jeu comme meilleure école de vie?

Presque! Le jeu spontané comporte de nombreuses qualités irremplaçables: il est adapté aux besoins de l’enfant, qui peut le faire évoluer sur mesure, au gré de ses intérêts. Il offre un régulateur permanent, un moyen de préserver ou retrouver son équilibre à travers la mise en scène de situations joyeuses ou tristes. Il permet de développer le lien social avec les autres enfants, de régler les querelles ou de les abandonner dans un monde plus léger, fictif. Enfin, le jeu permet de se rêver: super-héros, princes, reines. Dans le jeu, on peut s’évader et, surtout, être grand.

«Pour que les enfants jouent» de Raymonde Caffari-Viallon

«Pour que les enfants jouent», de Raymonde Caffari-Viallon, propose de replacer le jeu au centre du développement de l’enfant.

Pour aller plus loin

 

 

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