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Mary Wenker fait parler les voix de l’exil

par | 4 octobre 2022 | Découvertes, Mary Wenker

Engagée, c’est l’un des termes qui décrit Mary Wenker, humanitaire et pédagogue. Elle vient de signer «Hasan venu d’ailleurs» aux Éditions LEP.
Depuis huit ans, Mary Wenker se rend en Grèce pour soutenir des personnes réfugiées qui traversent la Méditerranée. Un engagement auprès des autres qui la porte depuis son adolescence. Portrait d’une porte-voix.

«J’ai reçu. Maintenant, je donne.» Ce cadeau, c’est le café qu’un enseignant, Arthur, a pris avec Mary Wenker alors qu’elle était adolescente. «Il m’avait vue alors que je faisais du stop pour rentrer chez moi. J’étais en larmes, ça n’allait pas bien à la maison. Nous avons échangé, et cette discussion m’a permis de passer ma maturité. Sans lui, je ne sais pas ce que je serais devenue.» Ce «premier rendez-vous» a tracé la ligne de son engagement: aider les autres, toujours, s’en faire la porte-parole, souvent. Un engagement qu’elle porte aujourd’hui auprès des personnes réfugiées, à travers son ONG Choosehumanity en Grèce, ainsi qu’à travers deux albums jeunesse illustrés par Amélie Buri. Destinés à sensibiliser les enfants à la différence, Camille aux papillons traite de l’identité de genre et Hasan venu d’ailleurs, de la migration.

«Ce qui m’animait, c’était l’envie de partir en mission.»

Détail du livre «Hasan venu d’ailleurs»

«Un des adultes du groupe a été désigné pour conduire le bateau. Il n’avait jamais fait ça, nous a-t-il dit plus tard.» Détail du livre «Hasan venu d’ailleurs», illustrations d’Amélie Buri.

L’engagement comme boussole

À l’époque de ce café avec son prof, elle est à peine plus âgée que les enfants auxquels s’adressent ses livres. Adolescente et en révolte. «À 14 ans, j’ai commencé le collège, à Fribourg. La classe était non mixte. Je ne sentais pas d’affinité avec les filles de ma classe, que je voyais trop rangées, uniquement préoccupées par leur apparence et leurs copains.» Alors, elle fugue, consomme du cannabis, est arrêtée par la police. Surtout, elle recherche la marge, notamment en fréquentant un centre de loisirs où les débats vont bon train. Dans cet endroit à part, l’équipe doit parfois intervenir dans le cadre de consommation excessive d’alcool ou de drogue. «Cela m’a secouée, et convaincue de faire quelque chose pour aider les autres dans une perspective de prévention.»

Ce centre est surtout l’endroit où elle se politise, au contact de personnes plus âgées qu’elle. «On se révoltait contre la venue du pape à Fribourg, contre la guerre, contre l’église. Contre la violence en général. J’ai participé à de nombreuses manifestations, ce qui m’a valu d’être fichée! Il en fallait peu, à l’époque.» À 18 ans, Mary décroche sa matu, suit une formation d’enseignante spécialisée. D’abord, elle travaille auprès d’enfants en situation de handicap, puis au cycle d’orientation, avec des jeunes en grande difficulté scolaire.

De l’enseignement à l’humanitaire

La rencontre avec son futur compagnon l’amène à faire un détour de deux ans et demi aux États-Unis, à Detroit. Le couple revient s’établir en Suisse. Son poste au Département de l’instruction publique du canton de Fribourg (DIP), où elle est en charge des questions liées à la migration, lui fait déjà entrevoir ce qui la pousse, des années plus tard, à faire ses valises pour la Grèce. «Ce qui m’animait, c’était l’envie de partir en mission. Une fois que mon fils a eu 17 ans, j’ai pensé que c’était le moment. J’ai lu dans le journal qu’on cherchait des bénévoles pour accueillir les réfugiés à Chios. Et je suis partie, à la faveur des vacances scolaires.»

«Quand tu entends des histoires de guerre, c’est dur. Mais on se dit qu’on fait notre part, à notre échelle.»

Ce dont elle est témoin là-bas la convainc de revenir de nombreuses fois. «J’étais déjà sensibilisée à ces questions. Mais en rentrant, je me souviens avoir acheté un jouet pour le chien de mon fils, qui coûtait 20 francs. Et je me suis dit, avec ça, on pourrait acheter 20 litres de lait. Ce décalage, ça ne me quitte jamais.» Au début, Mary s’engage dans une ONG. Toutefois, elle a de la peine à suivre son code de conduite, trop rigide à ses yeux. Garder une certaine distance avec les personnes, ne pas accepter de partager un café. En fin de compte, elle préfère créer sa propre structure, Choosehumanity. «Je ne peux pas travailler seule, car le travail des autres me donne de l’impulsion et me nourrit.» À présent, le comité compte quatre membres, dont Mary et Pierre-Alain, un médecin qui donne l’opportunité à l’association de proposer des consultations sur le terrain, où il se rend régulièrement.

Des réfugiés, autant d’histoires de migration

Comme l’exprime Mary, le nerf de la guerre est de «trouver des sous». La recherche de fonds reste donc un travail crucial, mais pas seulement. «À Athènes, nous disposons d’un appartement où nous pouvons loger les personnes qui ont l’asile en Grèce. Nous distribuons aussi des coupons de nourriture, à hauteur de 500 euros par mois, pour qu’elles puissent tout simplement se nourrir.» Dans son optique, très pragmatique, l’idée est toujours d’apporter une aide concrète, même si ces efforts paraissent parfois dérisoires. «C’est un pet dans l’eau. Quand tu entends des histoires de guerre, que tu vois les conditions insalubres des camps, c’est dur. Mais on se dit qu’on fait notre part, à notre échelle.»

Détail du livre «Hasan venu d’ailleurs»

«C’est là que j’ai perdu mes parents». Détail du livre «Hasan venu d’ailleurs», illustrations d’Amélie Buri.

À ses yeux, l’humanitaire est fait de beaucoup d’improvisation. Son ONG apporte des soutiens ponctuels, là où il faut. Financer une consultation chez le dentiste. Aller voir une mère qui a mal au dos. Lui donner de quoi nourrir son bébé. Financer le loyer de quelques personnes. Dans la perspective de créer un cercle vertueux, Mary met aussi à contribution les personnes qu’elle aide, pour qu’elles aident à leur tour. C’est ainsi que Hasan, qui a donné son nom au héros de son album jeunesse, gère l’appartement sur place, en espérant un jour obtenir la nationalité grecque. «En tant qu’Afghan appartenant à une ethnie discriminée, les Hazaras, il vit comme réfugié depuis toujours. D’abord en Iran, puis en Europe. Et ça lui pèse beaucoup.»

Une porte-parole

Plus le temps passe, plus elle mesure la chance d’être née en Suisse. «Dans le cadre des ateliers que je conduis ici, j’essaie de sensibiliser les gens à cela. Nous sommes à la base de ce système inégalitaire. C’est pour cette raison que nous devons faire preuve d’humanité.» Pour autant, Mary ne tombe pas dans le piège de l’angélisme, qu’on reproche parfois aux personnes militantes. «Quand je vois des jeunes réfugiés à Fribourg, qui boivent et fument à longueur de journée, qui sombrent dans la criminalité, ça me met en rage. Je voudrais leur demander: ‘Que penseraient vos proches, qui se sont sacrifiés pour vous permettre de venir ici?’ Quel gâchis, alors qu’il y a tellement d’issues de secours!»

Quand Mary dit ça, elle pense bien sûr à la résilience d’Hasan, ou à celle de Naïm, un Afghan qu’elle aide en Suisse. Ce jeune homme de 27 ans a fui la Roumanie, où il s’est rendu à pied. Après avoir été torturé, il s’est accroché aux essieux d’un camion pour fuir le pays. Aujourd’hui, il risque d’être renvoyé là-bas, son pays «d’entrée» dans l’espace Schengen. À force d’être confrontée à ces histoires, Mary a ressenti le besoin de leur donner une voix. «Ces gens ont peur. Personne ne s’occupe d’eux. Ils sont démunis.» Ce besoin a trouvé un exutoire dans le recueil Échos de la mer Égée, paru en 2020.

Détail du livre «Hasan venu d’ailleurs»

«Nous avons cheminé en file indienne, un soir à la tombée de la nuit, jusqu’à une petite plage.» Détail du livre «Hasan venu d’ailleurs», illustrations d’Amélie Buri.

Au sujet de cette parution, l’une des personnes qu’elle accompagne lui a dit: «Tu es notre porte-parole.» Si l’écriture de ce livre a aussi été thérapeutique pour Mary, celle de l’album Hasan venu d’ailleurs, destiné aux enfants, l’est tout autant. «Quand j’évoque ces deux livres, c’est comme s’ils étaient autour de moi. Tous ces gens que j’ai rencontrés et que, parfois, j’ai pu aider.» Abbas, Christian, Ibrahim, Mamadou, et beaucoup d’autres à qui Hasan venu d’ailleurs est dédié.

 

Comprendre la différence

Ce livre s’inscrit dans la collection Comprendre la différence, née d’une volonté d’offrir aux enfants des clés pour mieux comprendre et approcher la différence. Avec, toujours, un fil rouge au cœur des ouvrages: mener à une meilleure compréhension de l’altérité.

Outre Hasan venu d’ailleurs et Camille aux papillons, la collection compte trois autres albums, écrits par Marie Sellier et illustrés par Catherine Louis. Les yeux de Bianca parle de malvoyance, L’île de Victor d’autisme et Roule, Sasha! de handicap physique.

Chaque titre est doté d’un dossier pédagogique, accessible gratuitement en ligne.

Collection d’albums jeunesse «Comprendre la différence»

Les cinq titres de la collection: «Hasan venu d’ailleurs» sur la migration, «Camille aux papillons» sur l’identité de genre, «Roule, Sasha!» sur le handicap physique, «L’île de Victor» sur l’autisme et «Les yeux de Bianca» sur la malvoyance.

Pour aller plus loin

Mary Wenker et Amélie Buri, les invitées du 12h30 de la RTS

Interview de Mary Wenker et Amélie Burri, autrices et illustratrices de «Hasan venu d’ailleurs», livre sur le parcours d’un jeune mineur non accompagné d’origine afghane.

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