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Lectures croisées: Le triomphe et la chute des dinosaures et L’Atlas des vertébrés

par | 1 mars 2022 | Arthur Escher, Découvertes, Robin Marchant

Écrit par le paléontologue Steve Bursatte, «The Rise and Fall of the Dinosaurs» est paru en français sous le titre «Le triomphe et la chute des dinosaures». Un récit de leur fantastique épopée, et une lecture qui fait écho à notre «Atlas des vertébrés», qui illustre leur évolution au fil du temps.
En 2019 sortait la deuxième édition de notre Atlas des vertébrés, tandis que, fin 2021, les Éditions Quanto publiaient Le triomphe et la chute des dinosaures. Alors que la passion des dinosaures et de la paléontologie semble courante dans le monde de l’édition, nous vous proposons une critique scientifico-littéraire.

Il est rare de trouver des livres des livres si complémentaires qu’ils semblent avoir été écrits pour être lus en parallèle. C’est pourtant le cas de Le triomphe et la chute des dinosaures (The Rise and Fall of the Dinosaurs dans sa version originale, que les Éditions Quanto ont eu l’excellente idée de traduire en français) et notre Atlas des vertébrés. Le premier est un récit de vulgarisation scientifique du paléontologue Steve Brusatte, chercheur et professeur à l’Université d’Édimbourg. Le second est un document qui retrace l’évolution des vertébrés, d’un petit poisson sans mâchoires aux différentes formes de vie qui ont émaillé l’évolution de la vie sur Terre.

Le tour de force de cet ouvrage est de décortiquer les idées plus répandues au sujet des dinosaures.

«Vous verrez, ce livre est un chef-d’œuvre, un bijou de vulgarisation scientifique.» C’est en ces termes que notre collègue éditeur Sylvain Collette a décrit l’ouvrage de Steve Brusatte. D’ordinaire, je me méfie des critiques dithyrambiques, d’autant plus de la part d’un éditeur qui défend un protégé. En tant que geek de vulgarisation scientifique, ma curiosité a toutefois été piquée, et force est de constater que l’analyse n’était pas surfaite. Notre atlas à portée de main, j’ai dévoré ce livre, allant et venant d’un livre à l’autre pour suivre la phylogénie (i.e. évolution de formes) des dinosaures et autres crocodiliens décrits dans le livre au fil du temps.

Le tour de force de cet ouvrage de vulgarisation scientifique n’est pas uniquement de revisiter l’histoire des dinosaures à la lumière des dernières découvertes en paléontologie, mais de décortiquer les idées plus répandues à leur sujet. À force d’anecdotes et d’explications scientifiques, Steve Brusatte déconstruit ou explique de nombreux mythes. Nous vous en proposons trois, illustrés à la lumière de l’Atlas des vertébrés, un florilège qui n’a rien d’exhaustif.

La prétendue supériorité des dinosaures

Dans la culture popularisée par Jurassic Park, on a tendance à penser que les dinosaures étaient destinés à dominer le monde, avec leur taille immense, leurs crocs et/ou griffes de superprédateurs. Comme toujours dans l’histoire de la vie, la réalité n’est pas si simple. C’est plutôt grâce à l’évolution et aux hasards qu’elle engendre que les dinosaures sont devenus, à la fin du Crétacé, les maîtres incontestés de la planète. Pourtant, comme le rappelle Steve Brusatte, cette couronne aurait davantage pu revenir aux crocodiliens ou à des espèces d’amphibiens.

Les dinosaures ont longtemps vécu dans la terreur des crocodiliens, dont certains étaient massifs et chassaient tout ce qui passait près de leurs mâchoires.

En effet, il y a 252 millions d’années, une activité volcanique massive noie sous la lave un continent entier, soit la surface correspondant à l’actuelle Sibérie. Il s’agit de l’extinction massive de la fin du Permien, qui a vu la disparition de 90% des espèces marines et de 70% des vertébrés terrestres. Cette hécatombe, dont Steve Brusatte confie sentir la trace mortifère dans les fossiles des animaux qui ont suivi, a conduit à l’émergence et à la diversification des crocodiliens et des dinosaures. Toutefois, les seconds ont longtemps vécu dans la terreur des premiers, dont certains étaient massifs et chassaient tout ce qui passait près de leurs mâchoires.

Plahce de l'Atlas des vertébrés

Comparaison entre les crocodiliens et les dinosaures du Trias. Comme l’explique Steve Brusatte, de nombreux fossiles des deux espèces ont été confondus du fait de leur formes similaires, les ancêtres des crocodiles actuels possédant des pattes nettement plus longues (planches 6 et 7 de L’Atlas des vertébrés).

À leurs débuts, ces dinosaures primitifs n’étaient de loin pas en haut de la pyramide alimentaire. Steve Brusatte raconte ainsi sa découverte d’un tombeau massif de salamandres géantes (Metoposaurus) dans la région de l’Algarve, au Portugal. Cette créature de 3 mètres de long guettait ses proies dans les lacs, comptant parmi les superprédateurs du Trias, période à laquelle les continents étaient encore assemblés dans le supercontinent de la Pangée. C’est quand ce dernier s’est fracturé, il y a 201 millions d’années, qu’une nouvelle extinction massive a donné un coup de semonce aux rivaux des dinosaures. À l’inverse, certains de leurs avantages évolutifs, dont leur métabolisme remarquable, leur a permis de tirer profit de ce nouveau tournant dans l’histoire de la vie.

Les origines de leur taille immense

Leur organisme hors norme permet à Steve Brusatte de passer un autre aspect des dinosaures sous la loupe: leur taille immense. Si tous les dinosaures ne sont pas aussi grands que le Stegosaurus (9 mètres) ou le Brachiosaurus (25 mètres), d’autres espèces ont, à l’inverse, atteint des envergures titanesques. Ainsi, Steve Brusatte présente les nouveaux programmes de simulation informatique qui permettent aux paléontologues d’estimer la taille et le poids des dinosaures, à l’image des gigantesques sauropodes du Crétacé, dont l’Argentinosaurus, qui mesurait jusqu’à 40 mètres et pesait… 50 tonnes (le poids d’un Boeing 373)! À titre de comparaison, un éléphant n’en pèse qu’entre 5 et 6 et le T-rex, «seulement» 7 à 8 tonnes.

Planche 6 de l’Atlas des vertébrés

À la fin du Crétacé, la lignée des Titanosauridés a compté les plus grands vertébrés terrestres découverts à ce jour. Leur poids était tel qu’ils secouaient la terre lorsqu’ils marchaient (planche 6 de L’Atlas des vertébrés).

Comment la lignée des dinosaures a-t-elle réussi à produire de tels animaux? Selon Steve Busatte, les dinosaures avaient un métabolisme extrêmement rapide, qui requérait par ailleurs de grandes quantités de nourriture. Alors qu’on pensait, il y a quelques années, que les plus grands spécimens mettaient un siècle à atteindre leur taille adulte, les paléontologues ont, depuis, établi qu’ils le faisaient en quelques décennies. On ne retrouve par exemple pas de fossile de T-rex de plus de 30 ans, amenant un élément de preuve sur leur incroyable croissance.

Le pigeon ou le moineau sont les cousins des célèbres T-rex et velociraptors.

Les oiseaux sont des dinosaures

Un autre secret qui permet d’expliquer la taille des dinosaures réside dans leurs poumons. Contrairement aux êtres humains et à d’autres mammifères, dont les organes respiratoires stockent l’oxygène uniquement à l’inspiration, les dinosaures étaient dotés de poumons flanqués de petits sacs aériens, permettant le stockage d’oxygène tant à l’expiration qu’à l’inspiration. Un avantage physiologique qui les rendait très efficaces pour la fuite ou l’attaque. Il s’agit d’un appareil respiratoire prodigieux, qu’on trouve de nos jours uniquement chez… les oiseaux.

Planche 8 de l’Atlas des vertébrés

Les théropodes sont des dinosaures carnivores, parmi lesquels les plus grands prédateurs ayant existé, comme le T-rex, ou l’Archaeopteryx, le premier dinosaure à avoir développé les ailes et les muscles pectoraux nécessaires pour voler (planche 8 de L’Atlas des vertébrés).

En effet, Steve Brusatte affirme que les dinosaures existent toujours sous la forme des oiseaux modernes. Et pas seulement au figuré. Comme il l’écrit en détaillant une mouette perchée à sa fenêtre, les dinosaures partagent le même plan corporel – les poumons, les pattes droites, parfois dotées de griffes, ainsi que, pour certains, les plumes. Il s’agira d’un fait à méditer la prochaine fois que vous serez en présence d’un pigeon ou d’un moineau: ils sont en réalité les cousins des célèbres T-rex et velociraptors.

Ainsi, la découverte de nouveaux fossiles, notamment en Chine, a permis aux paléontologues de définir que ces deux dinosaures étaient sans doute hérissés de plumes. Toutefois, il s’agissait de plumes simples, sous la forme de filaments, qui leur servaient probablement de parures nuptiales. À l’aide d’exemples concrets, Steve Brusatte démontre comment ces ornements ont peu à peu acquis une dimension pratique, se complexifiant en ailes capables de s’élever, puis de planer, et de voler.

Planche représentant l'évolution des plumes des dinosures aux oiseaux

Ce schéma montre l’évolution des plumes, de simples filaments en rémiges rigides et complexes. Certains paléontologues pensent également qu’une de leurs fonctions primaires était peut-être de les isoler du froid (planche 8 de l’Atlas des vertébrés).

Le livre donne d’autres informations surprenantes, comme le fait qu’au Crétacé, des dinosaures nains (en termes «dinosauridés», pas plus grands que des vaches) ont évolué dans les îles d’une Europe encore submergée, qu’un petit raptor appelé Yi Qi a développé des ailes membraneuses comme les chauves-souris actuelles. Ou que, si le Tyrannosaurus rex a bien combattu le Triceratops en Amérique du Nord, il n’a jamais planté ses «dents tranchantes» dans le cou des gigantesques sauropodes vivant au Sud, les continents à la dérive confinant les différentes espèces à des zones géologiques distinctes.

Le triomphe et la chute des dinosaures n’est pas uniquement un bon livre parce qu’il offre une excellente synthèse scientifique, mais aussi et surtout parce qu’il est très bien écrit et se lit comme un roman. Steve Brusatte manie différents registres avec beaucoup de finesse, oscillant entre faits scientifiques, techniques de recherches et anecdotes personnelles. Ces trois sphères de récit se nourrissent et s’informent les unes les autres, conférant au livre cette dimension romanesque si savoureuse.

Si ces deux livres se complètent si bien, c’est sans doute parce qu’ils réussissent ce que tout livre de vulgarisation devrait parvenir à faire. De manière simple mais non simpliste, offrir une matière passionnante, digne de ses lectrices et lecteurs, en osant la complexité et la richesse. C’est là que réside l’espoir d’éveiller la curiosité scientifique que toute personne, adulte comme enfant, porte en elle.

 

L’Atlas des vertébrés: de leurs origines à nos jours: une épopée de 500 millions d’années en 44 pages

Écrit par Arthur Escher et Robin Marchant, L’Atlas des vertébrés est paru en 2016. Fruit de quinze ans de travail, il relève le défi de rendre accessible au grand public l’évolution des vertébrés sur 500 millions d’années. Le résultat est un ouvrage constitué de planches illustrant la diversité des chemins qu’a pris l’évolution au cours du temps, ainsi que les périodes d’extinctions majeures qui l’ont jalonnée. Un livre essentiel à l’heure où l’humanité prend conscience de ses responsabilités quant aux changements climatiques et du rôle qu’elle devra jouer dans la préservation de la vie.

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