Tout commence par des chutes de métal destinées à la vitrine d’un grand magasin de Monthey. Nous sommes en 1969. À ce moment, André Raboud a seulement 20 ans. Il est le fils d’une Française et d’un Valaisan qui a fait carrière en vendant des appareils électroménagers en France. Après sa faillite et le retour de la famille en Suisse, le jeune homme caresse un rêve un peu fou: devenir peintre. Ses parents lui concèdent des cours d’aquarelle à la place du scoutisme, mais ils désapprouvent ce choix comme carrière et le poussent vers un apprentissage de décorateur. Pourtant, c’est en suivant cette voie qu’il trouvera sa vraie vocation. La sculpture.
À la fragilité du papier, il substitue la pierre massive, qu’il taille jusqu’à ce qu’elle parle, quitte à s’y meurtrir les doigts.
La révélation de la sculpture
Le travail en volume est une révélation. Plus de dessins en deux dimensions, mais une matérialisation de formes qui donnent sens à l’espace. À la peinture et aux pinceaux, il substitue la meuleuse. À la fragilité du papier, la pierre massive, qu’il taille jusqu’à ce qu’elle chante et qu’elle parle, qu’elle évoque quelque chose, quitte à s’y meurtrir les doigts. Il s’y dédie corps et âme, et entre rapidement dans la cour des grands. En 1970, il effectue sa première exposition à Monthey; il n’a que 21 ans.
En 1973, il participe au Salon de la jeune sculpture de Paris. Il travaille au sein de l’atelier «Carlo Nicoli», où il refuse de se contenter des chutes de matière laissées par les autres sculpteurs. Il demande à travailler dans l’espace alloué aux célèbres sculpteurs comme Henry Moore, Jean-Robert Ipoustéguy, Augustin Cárdenas ou Antoine Poncet. De nombreuses expositions suivront, en Suisse et ailleurs dans le monde : New York, São Paulo, ou encore Tokyo.
Au début des années 1980, c’est avec son ami Pascal Cadosch et sa femme Suzanne qu’il crée l’exposition «Sculpteurs romands» à la Tour de Duin de Bex. Cette manifestation deviendra, en 1984, la triennale de sculpture Bex & Arts, qui continue aujourd’hui. La première exposition rassemble quarante-trois sculpteurs helvétiques, démarchés personnellement par l’artiste, qui va faire du porte-à-porte pour rassembler Max Bill, Bernhard Luginbühl, Hans Aeschbacher, Oscar Wiggli, Albert Rouiller et Henri Presset dans le même lieu. En 2011, l’œuvre d’André Raboud est couronnée par le prix de la culture du Valais. En 2017, c’est l’apogée avec le prix de la Fondation Pierre Gianadda décerné par l’Académie des Beaux-Arts de Paris.
Des sculptures comme autels
Si les rencontres ont forgé l’artiste et l’homme, les voyages ont eu cette même capacité de transformation et de transcendance. Une quête d’ailleurs, bien sûr, mais aussi une recherche d’inspiration formelle et esthétique, un voyage à rebours sur les traces des civilisations antiques. André sera frappé d’abord par le Guatemala et le site monumental de Tikal, érigé au beau milieu de la jungle, qui bouleversera sa vision du temps et de l’espace. Puis l’Inde, terre d’exil du peuple des Parsis, dont les tours funéraires du silence le hanteront longtemps. L’Amazonie, où il descendra le cours d’un des plus longs fleuves du monde. Tobago, son éden perdu au milieu des Caraïbes. Le Japon et sa culture de raffinement extrême.
Aucune de ses sculptures n’a de valeur décorative. Elles sont sacrées, comme un mausolée, un autel.
Au cœur de cette recherche, la pierre. Tantôt blanche, tantôt verte, souvent noire. Au granit, au noir d’Afrique, à la serpentine ou au marbre, il donne une vie, de la pierre à la chair. Ses sculptures, il les voit comme des objets sacrés, sœurs des statuettes mayas, indiennes ou japonaises qu’il ramène de ses voyages. Des sanctuaires des temps modernes. Il l’affirme, il ne fait que répéter les grandes questions, imiter ce que les Anciens ont déjà compris dans leur traitement de l’espace et de la forme. À force, il a édifié des temples uniques, qui lui appartiennent. À ses yeux, aucune de ses sculptures n’a de valeur décorative. Elles sont sacrées, comme un mausolée, un autel.
Rien n’entamera cet élan de création. Ni la vague de Madagascar qui lui arrachera presque le bras, ni la mort accidentelle de sa fille Mélina. Aujourd’hui, André Raboud continue à sculpter des architectures personnelles, devant lesquelles se recueillir et prier, ou tout simplement méditer. Il ne s’arrêtera jamais. À l’instar du mystère des pierres traînées dans la jungle de Tikal, lui continue à tailler et à élever des pierres, envers et contre tout. Parce qu’il n’aurait jamais rien pu faire d’autre. S’il donne une vie à des matériaux inanimés, l’homme a aussi quelque chose de la pierre dans sa volonté de sculpter.
À propos des Éditions NKPetite sœur des Éditions Loisirs et Pédagogie, NK Éditions représente une branche éditoriale à part au sein de la maison d’édition. Dédiées aux livres d’art et de photographie, elles ont publié de nombreux ouvrages sur l’œuvre d’André Raboud. André Raboud, retour aux sources, NK Éditions, 144 pages, 2019 |
Pour aller plus loin
- Site personnel d’André Raboud
- De 1989 à 2019: vernissage au théâtre du Crochetan. Une exposition de ses sculptures, qui s’est tenue du 6 avril au 12 juillet au théâtre du Crochetan à Monthey. Un nouveau retour aux sources, trente ans après sa première exposition dans ce même théâtre en 1989.
- Plus d’informations sur le livre André Raboud, retour aux sources